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L'éducation et la paix

Pour découvrir le rôle que l'éducation peut jouer dans la crise mondiale actuelle, il nous faut comprendre comment cette crise a pris naissance. Elle est manifestement le résultat de valeurs erronées dans nos relations avec les gens, les possessions et les idées. Si nos relations avec les personnes sont basées sur l'agrandissement de soi, si celles avec les objets sont possessives, la structure de la société ne peut qu'être basée sur la concurrence et nous diviser les uns les autres. Si, dans nos rapports avec les idées, nous justifions une idéologie en opposition à une autre, le résultat inévitable est une méfiance mutuelle et un état d'animosité.

Une autre cause du présent chaos est notre soumission à l'autorité, depuis l'école maternelle et l'université jusque dans notre vie quotidienne. Les leaders et leurs autorités sont facteurs de détérioration dans n'importe quelle culture. Suivre quelqu'un c'est n'avoir pas de compréhension ; il n'y a là que crainte et conformité, lesquelles aboutissent à la cruauté des États totalitaires et au dogmatisme des Églises. S'appuyer sur des gouvernements, recourir à des organisations et à des autorités pour cette paix qui doit commencer avec la connaissance de soi, c'est créer un nouveau conflit encore plus grave; et il ne peut y avoir de bonheur durable tant que nous acceptons un ordre social qui comporte des luttes sans fin et un état d'antagonisme entre l'homme et l'homme. Si nous voulons changer les conditions existantes, nous devons d'abord nous transformer nous-mêmes, c'est-à-dire devenir conscients de nos actions, de nos pensées, de nos sentiments dans notre vie quotidienne.


Mais nous ne désirons pas réellement la paix, nous ne voulons pas mettre un terme à l'exploitation, nous n'acceptons pas que l'on s'entremette dans notre avidité ni que l'on modifie l'ordre social actuel. Nous voulons que tout continue comme par le passé, avec peut-être quelques modifications superficielles, et c'est ainsi que les puissants et les fourbes nous régissent inévitablement.


La paix ne s'obtient par aucune idéologie et ne dépend d'aucune législation ; elle ne survient qu'au moment où nous, en tant qu'individus, commençons à comprendre nos propres processus psychologiques. Si, refusant la responsabilité que comporte l'action individuelle, nous attendons qu'un système nous apporte la paix, il ne tarde pas à nous réduire en esclavage.


Lorsque les gouvernements, les dictateurs, le monde des grosses affaires, les puissants hommes d'église, s'apercevront que l'antagonisme croissant entre les hommes les aura menés à un point de destruction trop chaotique pour être rentable, ils pourront nous forcer, par décrets ou par toute autre contrainte, à refouler nos ambitions et contribuer au bien-être de l'humanité. De même que l'éducation que nous recevons aujourd'hui nous pousse à un brutal esprit de compétition, nous serons peut-être un jour contraints de nous respecter les uns les autres et de travailler pour l'humanité dans son ensemble. Mais alors même que nous serions bien nourris, vêtus et logés, nous ne serions pas libérés de nos conflits et de nos antagonismes, lesquels seraient simplement transposés sur un autre plan et deviendraient encore plus diaboliques et dévastateurs. L'action morale et juste est celle que l'on accomplit de plein gré et seule la compréhension peut apporter la paix et le bonheur aux hommes.


Les croyances, les idéologies et les religions organisées nous dressent contre nos voisins ; il y a des conflits, non seulement entre les milieux sociaux, mais au sein de chacun d'eux. Nous devons comprendre que, tant que nous nous identifierons à un pays, tant que nous nous accrocherons à une sécurité, tant que nous serons conditionnés par des dogmes, il y aura des conflits et des souffrances à la fois en nous-mêmes et dans le monde.


Et c'est toute la question du patriotisme qui se pose ensuite. Quels sont les moments où nous nous sentons patriotes? Ce n'est évidemment pas une émotion de tous les jours. Mais nous sommes assidûment poussés à la ressentir par les livres de classe, les journaux et d'autres organes de propagande, qui stimulent l'égocentrisme racial en encensant les héros nationaux et en nous répétant que notre pays et notre façon de vivre sont meilleurs que les autres. Cet esprit patriotique nourrit notre vanité, depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse.


L'assertion constamment répétée que nous appartenons à un certain groupe politique ou religieux, que nous sommes de telle nation ou de telle autre, flatte nos petits egos, les enfle comme des voiles, jusqu'à ce que nous soyons prêts à tuer ou à être tués pour notre pays, notre race ou notre idéologie. Tout cela est si stupide et si peu naturel! Car les êtres humains sont bien plus importants que les frontières nationales ou idéologiques. L'esprit nationaliste de mésintelligence se propage partout comme le feu. Le patriotisme est cultivé et adroitement exploité par ceux qui recherchent un surcroît d'expansion, un surplus de pouvoir, une augmentation de richesse, et chacun de nous participe à ce processus, car nous aussi voulons tout cela. La conquête de terres et de peuples procure de nouveaux marchés pour les produits ainsi que pour les idéologies politiques et religieuses.


Il nous faut observer ces expressions de la violence et de la haine avec un esprit dépourvu de préjugés, qui ne s'identifie à aucun pays, aucune race, aucune idéologie, mais qui essaye de découvrir la vérité. Il y a de la joie à voir une chose clairement sans être influencé par les notions et les affirmations des autres, fussent-ils des gouvernants, des spécialistes ou des érudits. Aussitôt que nous voyons que le patriotisme est un obstacle au bonheur de l'homme, nous n'avons plus à lutter contre cette fausse émotion: elle nous a quittés pour toujours.

Le nationalisme, l'esprit patriotique, la conscience de classe ou de race, sont les modalités de l'ego, donc des facteurs de division. Après tout, une nation est-elle autre chose qu'un groupe d'individus vivant ensemble pour des raisons économiques et de protection personnelle? La peur et un sens à la fois d'acquisition et d'auto-protection engendrent l'idée de « mon pays » avec ses frontières, ses barrières douanières qui rendent impossibles la fraternité et l'unité humaines.

Le désir d'acquérir et de conserver, la soif de nous identifier à quelque chose de plus grand que nous, engendrent l'esprit de nationalisme. Et celui-ci provoque des guerres. Dans chaque pays, les dirigeants, appuyés par les Églises, encouragent la vanité nationale et l'esprit de division. Le nationalisme est une maladie ; il ne pourra jamais instaurer l'unité du monde. La maladie n'est pas une étape vers la santé: c'est la guérison qu'il nous faut.


C'est parce que nous sommes nationalistes, toujours prêts à défendre nos États souverains, nos croyances et nos acquisitions, que nous sommes perpétuellement armés. Les richesses et les idées sont devenues plus importantes pour nous que les vies humaines, de sorte que l'inimitié et la violence sont notre état constant. En soutenant la souveraineté de notre pays nous sommes en train de détruire nos fils ; en rendant un culte à l'État, lequel n'est qu'une projection de nous-mêmes, nous sommes en train de sacrifier nos enfants pour une satisfaction personnelle. Le nationalisme et les États souverains sont les causes et les instruments de la guerre.


Nos institutions sociales actuelles ne peuvent pas évoluer vers une fédération mondiale, car leurs fondements mêmes sont mauvais. Les parlements et les systèmes d'éducation qui sont en faveur d'une souveraineté nationale et insistent sur l'importance du groupe ne mettront jamais fin à la guerre. Chaque groupe séparément, avec ses gouvernements et ses gouvernés, est une source de conflits. Tant que nous ne modifierons pas radicalement les relations actuelles entre l'homme et l'homme, le progrès industriel mènera à la confusion et deviendra un instrument de destruction et de misères ; tant qu'existeront la violence et la tyrannie, la duperie et la propagande, la fraternité humaine ne sera pas réalisée.


L'enseignement qui ne forme que de merveilleux ingénieurs, des hommes de science brillants, des chefs d'entreprises capables, des ouvriers habiles, ne pourra jamais unir les oppresseurs et les opprimés ; et nous pouvons voir que notre système d'éducation, qui encourage les nombreuses causes de querelles et de haine entre êtres humains, n'a pas empêché les assassinats de masses qui ont eu lieu au nom d'un pays ou de Dieu. Les religions organisées, avec leurs autorités temporelles et spirituelles, sont toutes également incapables de donner la paix à l'homme, car elles aussi sont le produit de l'ignorance et de la peur, de nos illusions et de notre égoïsme.


Aspirant à la sécurité, ici-bas ou dans l'au-delà, nous créons des institutions et des idéologies qui nous la garantissent ; mais plus nous luttons pour l'avoir, moins nous l'aurons. Le désir d'être en sécurité ne fait que créer des divisions et exacerber les antagonismes. Si nous comprenons profondément cette vérité, non pas verbalement ou intellectuellement, mais avec tout notre être, nous commençons à modifier radicalement nos relations avec nos semblables, dans notre entourage immédiat, et alors seulement nous pouvons réaliser l'unité et la fraternité.


Consumés par des peurs de toutes sortes, nous sommes, en général, fort soucieux de notre sécurité. Nous espérons que, par quelque miracle, il n'y aura plus de guerres, alors que nous ne cessons d'accuser d'autres groupes nationaux d'être des fauteurs de guerres, cependant qu'eux-mêmes, à leur tour, nous accusent d'être responsables des désastres. Bien que la guerre soit si manifestement nocive à la société, nous nous y préparons et insufflons aux jeunes l'esprit militaire.


Mais l'instruction militaire a-t-elle sa place dans l'éducation? Tout dépend de ce que nous voulons que deviennent nos enfants. Si nous désirons en faire des tueurs très habiles, un entraînement militaire est indispensable. Si nous voulons les discipliner et enrégimenter leurs esprits, si notre but est de les rendre nationalistes et par conséquent irresponsables envers la société dans son ensemble, l'instruction militaire est une bonne façon d'y parvenir. Si nous aimons la mort et la destruction, la discipline militaire est évidemment importante. La fonction des généraux est de concevoir et d'exécuter des plans de guerre ; et si notre intention est de nous battre constamment entre nous ainsi que de livrer bataille à nos voisins, n'hésitons pas: ayons un nombre encore plus grand de généraux.


Si nous ne vivons que pour entretenir des luttes sans fin en nous-mêmes et contre les autres ; si notre désir est de perpétuer l'épanchement de sang et les malheurs ; ayons alors plus de soldats, plus de politiciens, plus d'ennemis. Et c'est exactement ce que nous faisons. La civilisation moderne est basée sur la violence ; elle fait donc la cour à la mort. Tant que nous rendrons un culte à la force, la violence sera dans nos mœurs. Mais si nous voulons la paix ; si nous voulons des relations saines entre les hommes, qu'ils soient chrétiens ou hindous, russes ou américains ; si nous voulons que nos enfants soient des êtres humains intégrés ; l'entraînement militaire est un obstacle infranchissable, une façon erronée de s'y prendre.


Une des principales causes de haines et de discordes est la croyance qu'une classe ou une race particulière est supérieure à une autre. L'enfant n'a pas une conscience de classe ou de race ; c'est son milieu familial ou scolaire, ou tous les deux à la fois, qui lui inculquent le sens du particulier. Il lui importe peu, à lui, que son camarade de jeux soit nègre ou juif, brahmane ou non-brahmane, mais la pression de toute la structure sociale influe constamment sur son esprit, l'affecte et le façonne.


Ici encore le problème n'est pas l'enfant, mais les adultes qui ont créé un milieu de fausses valeurs et de particularités, qui n'a pas de sens. Quelle base réelle avons-nous pour différencier les êtres humains? Nos corps peuvent être différents de structure et de couleur et nos visages dissemblables, mais sous la peau nous nous ressemblons beaucoup ; orgueilleux, ambitieux, envieux, violents, sensuels, aspirant au pouvoir... Retirez les étiquettes et nous demeurons très nus ; mais nous ne voulons pas affronter notre nudité, et insistons par conséquent sur l'étiquette - ce qui indique combien peu mûrs, combien réellement enfantins nous sommes.


Pour permettre à l'enfant de mûrir libre de préjugés, l'on doit d'abord démolir les préjugés que l'on a soi-même, et ensuite ceux du milieu - ce qui veut dire briser la structure de cette société frivole que nous avons créée. A la maison, nous pouvons dire à l'enfant combien il est absurde d'avoir une conscience de classe ou de race et il sera probablement de notre avis, mais lorsqu'il ira à l'école, et jouera avec d'autres enfants, il sera contaminé par l'esprit de division. Et cela peut se produire en sens inverse: la famille peut avoir un esprit traditionnel, étroit, et l'école avoir l'esprit plus large. Dans les deux cas, il y a conflit entre le milieu familial et le milieu scolaire, et l'enfant le subit. Pour élever sainement un enfant, pour développer sa sensibilité au point qu'elle lui permette de voir à travers ces stupides préjugés, nous devons établir avec lui des rapports très étroits, aborder tous les sujets, lui permettre d'assister à des conversations intelligentes, encourager son esprit de curiosité et de mécontentement (qu'il possède déjà) et l'aider ainsi à découvrir par lui-même le vrai et le faux.


La constante recherche et le vrai mécontentement engendrent l'intelligence ; mais les maintenir en éveil est extrêmement ardu, car la plupart des personnes ne veulent pas que leurs enfants aient cette sorte d'intelligence: il est très gênant de vivre avec une personne qui ne fait que mettre en doute les valeurs établies.


Le contrôle de l'enseignement par l'État est une calamité. Il n'y a aucun espoir d'établir la paix et l'ordre dans le monde, tant que l'éducation est au service des États ou des Églises. Et pourtant les gouvernements s'occupent de plus en plus des enfants et de leur avenir, et lorsqu'ils ne le font pas, ce sont les religions organisées qui assument le rôle de l'éducateur.


Ce conditionnement de l'esprit de l'enfant en vue de l'adapter à une idéologie particulière, politique ou religieuse, cultive l'inimitié entre l'homme et l'homme. Dans une société établie sur l'esprit de compétition, il ne peut y avoir de fraternité ; et aucune réforme, aucune dictature, aucune méthode éducative ne l'engendrera.


Tant que vous demeurerez néo-zélandais et moi hindou, il sera absurde de parler de l'unité de l'homme. Comment pouvons-nous nous rencontrer en tant qu'êtres humains si vous dans votre pays et moi dans le mien conservons nos préjugés religieux respectifs et nos comportements différents dans la question économique? Comment peut-il y avoir fraternité tant que le patriotisme sépare l'homme de l'homme, que des millions de personnes sont dans le besoin et d'autres dans l'abondance? Comment l'unité humaine peut-elle exister tant que des croyances nous divisent, que certains groupes exercent sur d'autres leur domination, que les riches sont puissants et les pauvres avides de cette même puissance, que les terres sont mal distribuées, que certains sont bien nourris et des multitudes souffrent de la faim?


Une de nos difficultés est que nous ne sommes pas tout à fait déterminés à changer cet état de choses, parce que nous ne voulons pas que nos vies soient bouleversées. Nous préférons modifier la société dans la mesure où cela nous serait avantageux et ainsi nous ne nous préoccupons guère de notre vide intérieur et de notre cruauté.


Pouvons-nous parvenir à la paix par la violence? La paix peut-elle s'obtenir graduellement, par le lent processus du temps? L'amour n'est certes pas affaire d'entraînement ou de temps. Les deux dernières guerres ont été, je crois,, un combat pour la démocratie ; et maintenant nous nous préparons à une guerre plus vaste et plus destructrice et il y a moins de liberté qu'avant. Mais qu'arriverait-il si nous nous débarrassions des obstacles qui barrent la route à l'intelligence, tels que l'autorité, les croyances, le. nationalisme et tout l'esprit hiérarchique? Nous serions des personnes ne subissant le joug d'aucune autorité, c'est-à-dire des êtres humains en rapports directs les uns avec les autres, et alors, peut-être, y aurait-il de l'amour et de la compassion.


Ce qui est essentiel dans l'éducation, comme en tout autre domaine, c'est d'avoir des personnes compréhensives et affectueuses, dont les cœurs ne sont pas remplis de phrases vides, de constructions de l'esprit. Si nous considérons que le bonheur de vivre vaut que l'on y mette de la réflexion, du soin, de l'affection, il est très important que nous nous connaissions nous-mêmes. Et si nous désirons bâtir une société vraiment éclairée, il nous faut des éducateurs qui comprennent ce qu'est l'intégration et soient par conséquent capables de transmettre cette compréhension à l'enfant. Ils devraient être ainsi un danger pour la structure actuelle de la société et, d'ailleurs, l'éducateur qui, percevant la pleine signification de la paix, commencerait à montrer à l'enfant tout ce qu'implique le nationalisme et la stupidité de la guerre, perdrait vite sa situation. Sachant cela, la plupart des éducateurs s'en tiennent à un compromis et, de ce fait, contribuent au maintien du système d'exploitation et de violence en vigueur.


Pour découvrir la vérité, il est d'abord nécessaire d'être libéré des conflits habituels qui ont lieu à la fois dans l'individu et entre lui et le monde extérieur. Lorsque nous ne sommes plus en état de conflit intérieurement, nous ne le sommes plus extérieurement. C'est le conflit intérieur qui, projeté à l'extérieur, devient mondial.


La guerre est la projection spectaculaire et sanglante de notre vie quotidienne. C'est un précipité de nos vies de tous les jours. Et sans une transformation de nous-mêmes il y aura forcément toujours des antagonismes nationaux et raciaux, de puériles querelles idéologiques, une multiplication de soldats, les saluts aux drapeaux et les brutalités sans nombre qui concourent à créer le meurtre organisé.


L'éducation dans le monde entier a fait faillite, elle a produit des destructions et des misères de plus en plus grandes. Les gouvernements sont en train de dresser les jeunes à devenir les soldats et les techniciens dont ils ont besoin ; l'enrégimentement et les préjugés sont imposés et entretenus. Prenant ces faits en considération, nous devons nous interroger sur le sens de l'existence, ainsi que sur la signification et le but de nos vies. Il nous faut découvrir des moyens bénéfiques pour créer un nouveau milieu ; car le milieu peut faire de l'enfant une brute, un spécialiste insensible, ou l'aider à devenir un être humain sensible. Il nous faut créer un gouvernement mondial qui sera radicalement différent de tous ceux que nous avons, qui ne sera pas basé sur le nationalisme, sur des idéologies, sur la force.


Tout cela exige que nous comprenions notre responsabilité les uns envers les autres, dans nos relations mutuelles. Il faut de l'amour dans nos cœurs ; nous n'avons pas besoin de tant d'érudition et de savoir. Plus grand sera notre amour, plus profonde sera son influence sur la société. Mais nous sommes tout cerveau et privés de cœur ; nous cultivons l'intellect et méprisons l'humilité. Si nous aimions réellement nos enfants, nous voudrions les sauver et les protéger, nous ne permettrions pas qu'ils soient sacrifiés dans des guerres.


Je crois qu'en réalité nous voulons des armes ; nous aimons le spectacle de la force militaire, les uniformes, les rituels, les boissons, le bruit, la violence. Notre vie quotidienne est le reflet en miniature de cette même brutalité superficielle et nous nous détruisons les uns les autres par envie et irréflexion.


Nous voulons être riches ; et plus nous le sommes, plus nous devenons brutaux, même lorsqu'il nous arrive de donner de grosses sommes d'argent à des œuvres de charité et d'éducation. Ayant volé la victime, nous lui rendons un petit peu du butin et appelons cela de la philanthropie. Je ne sais pas si nous nous rendons compte des catastrophes que nous préparons. Nous vivons chaque journée aussi rapidement et aussi superficiellement que possible, et abandonnons aux gouvernements, aux politiciens rusés la direction de nos vies.

Tous les États souverains doivent nécessairement nous préparer à la guerre ; et aucun de nous ne peut dire que son propre gouvernement soit une exception. Pour que ses citoyens soient de bons guerriers, pour les préparer à faire efficacement leur devoir, l'État doit, c'est évident, les régenter et exercer son pouvoir sur eux. Ils doivent être entraînés à se comporter comme des machines, à être efficients sans pitié. Si le but et la fin de nos vies est de détruire et d'être détruits, l'éducation doit absolument encourager la brutalité ; et je ne suis pas du tout sûr que ce n'est pas cela que nous désirons dans notre for intérieur car la brutalité va de pair avec le culte du succès.


L’état souverain ne veut pas que ses citoyens soient libres, qu'ils pensent par eux-mêmes. Il les domine donc par tous les moyens possibles, propagande, interprétations historiques déformées, etc. Voilà pourquoi l'éducation consiste de plus en plus à enseigner « quoi penser » et non « comment penser ». Si notre pensée était indépendante du système politique en vigueur, nous serions dangereux ; des institutions libres pourraient former des pacifistes ou des hommes dont la pensée serait contraire au régime.


Une éducation libérant l'homme est évidemment un danger pour les États souverains ; aussi lui barre-t-on le chemin par des moyens grossiers ou subtils. L'enseignement et le pain contrôlés par une minorité sont devenus le moyen de soumettre l'homme ; et nous n'existons pour les gouvernements, qu'ils soient de gauche ou de droite, qu'en tant que machines à produire des marchandises et des obus.


Or, le fait que tout cela est en train de se produire dans le monde entier veut dire que nous, qui sommes des citoyens et des éducateurs, et responsables des gouvernements que nous avons, ne nous soucions pas réellement de la liberté ou de la servitude, de la paix ou de la guerre, du bien-être ou de la misère des hommes. Nous voulons bien de quelque petite réforme par-ci par-là, mais la plupart d'entre nous ont peur de jeter bas la société actuelle et de bâtir une structure entièrement nouvelle, car ceci exigerait une transformation radicale de nous-mêmes.


D'un autre côté, il y a ceux qui cherchent à provoquer une révolution violente. Ayant contribué à construire l'ordre social tel qu'il est, avec ses conflits, sa confusion, ses misères, ils désirent maintenant organiser une société parfaite. Mais tels que nous sommes est-il en notre pouvoir d'organiser une société parfaite, lorsque c'est à notre image que nous avons engendré celle-ci? Croire que la paix puisse s'obtenir par la violence c'est sacrifier le présent à un idéal futur ; et cette recherche d'une fin juste par des moyens faux est une des causes du désastre actuel.


L'extension et la prédominance des valeurs sensorielles Créent nécessairement le poison du nationalisme, des frontières économiques, des États souverains et de l'esprit patriotique. Ce poison exclut toute coopération et corrompt les relations humaines, c'est-à-dire la société. La société est l'ensemble des relations entre « moi » et « l'autre » ; et si nous ne comprenons pas profondément ces relations, non seulement à un de leurs niveaux mais intégralement, en tant que processus total, nous ne pouvons que reconstituer une structure sociale analogue, à peine modifiée superficiellement.


Si nous devons changer radicalement les relations humaines qui ont apporté au monde des souffrances indicibles, notre seule et unique tâche est de nous transformer par la connaissance de nous-mêmes. Et ainsi nous revenons au point central, qui est l'individu. Mais nous éludons ce point et rejetons la responsabilité sur les gouvernements, les religions, les idéologies. Le gouvernement est ce que nous sommes ; les religions et les idéologies ne sont que nos projections ; et tant que nous ne changerons pas, il n'y aura pas d'éducation dans le vrai sens, ni de paix.


La sécurité extérieure pour tous ne s'instaurera que par l'amour et l'intelligence. Et puisque nous avons créé un monde de conflits et de misères où la sécurité extérieure est rapidement en train de devenir impossible pour qui que ce soit, est-ce que cela n'indique pas l'inutilité totale de l'éducation passée et présente? En tant que parents et éducateurs notre tâche est de rompre avec la pensée traditionnelle au lieu de nous appuyer sur des experts et leurs conclusions. L'efficience technique nous a donné une certaine capacité de gagner de l'agent, et c'est pour cela qu'un certain nombre d'entre nous sont satisfaits de la structure sociale actuelle ; mais ce qui importe c'est une éducation et une façon de vivre et de gagner sa vie, basées sur des valeurs vraies.


Plus nous sommes irresponsables en ces matières, plus l'État assume de responsabilités. Nous sommes en face non pas d'une crise politique et économique mais d'une crise de détérioration humaine qu'aucun parti politique et qu'aucun système économique ne pourront éviter.


Un nouveau désastre, plus grand que les précédents est dangereusement près de nous et la plupart des personnes l'attendent sans rien faire. Nous' vivons, un jour après l'autre, exactement comme nous avons toujours vécu ; nous ne voulons pas nous dépouiller de nos fausses valeurs et recommencer à zéro. Nous voulons des réformes de replâtrage qui ne mèneront qu'à de nouveaux problèmes de réformes. Mais l'édifice s'écroule, les murs cèdent de partout et le feu est en train de le détruire. Il nous faut abandonner l'édifice et recommencer sur un nouveau terrain, avec de nouvelles fondations et des valeurs différentes.

Nous ne pouvons pas négliger les connaissances techniques mais nous pouvons être intérieurement conscients de notre laideur, de notre brutalité, de nos tricheries, de notre malhonnêteté, de notre manque total d'amour. Ce n'est qu'en nous libérant intelligemment de l'esprit de nationalisme, de l'envie et de la soif de puissance que nous pourrons établir un nouvel ordre social.


La paix ne s'obtient pas par des réformes de surface ni par un simple réajustement de vieilles idées et de superstitions II ne peut y avoir de paix que si nous comprenons ce qui réside au delà du superficiel et arrêtons ainsi la vague de destruction qui déferle, poussée par notre agressivité et nos peurs ; et alors seulement y aura-t-il de l'espoir pour nos enfants et un salut pour le monde. Jiddu Krishnamurti

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