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L'action du savoir

Le soleil s'était couché derrière les montagnes et l'embrasement rosé n'avait pas encore disparu, à l'est de la chaîne rocheuse. Le sentier descendait des montagnes et traversait la vallée bien verte. C'était une soirée très calme, une brise très légère agitait les branches. On distinguait à peine l'étoile du soir à l'horizon et il allait bientôt faire très noir, car c'était une nuit sans lune. Les arbres, qui le jour semblaient ouverts et accueillants, se refermaient sur eux-mêmes à l'approche de la nuit.

Tout était calme et silencieux dans ces collines et soudain le ciel fut rempli d'étoiles et la masse noire des montagnes se détacha nettement. L'odeur particulière de la nuit était partout présente, et un chien aboyait dans le lointain. C'était une nuit très profonde et très tranquille, et cette tranquillité semblait avoir pénétré dans les rochers, dans les arbres et dans tout ce qui nous entourait, et les pas qui faisaient crisser les cailloux du sentier n'y faisaient pas obstacle.


L'esprit lui aussi était envahi par cette tranquillité. Car après tout, la méditation n'est pas un moyen d'obtenir un résultat, ou de faire réapparaître un état qui a été ou qui pourrait être. Si la méditation est intentionnelle, on parviendra sans doute au but recherché, mais il ne s'agira plus de méditation, tout au plus de la réalisation d'un désir. La compréhension du désir, lorsqu'on ne tente ni d'y mettre un terme ni de le renforcer, est le début et la fin de la méditation. Mais il y a quelque chose qui dépasse cela. C'est curieux comme le penseur méditant persiste ; il continue à chercher, il devient observateur, celui qui fait l'expérience, un mécanisme qui rassemble les souvenirs, celui qui évalue, qui assemble, qui rejette. Lorsque la méditation n'implique que le méditant, elle ne peut que renforcer celui-ci, l'expérimentateur.


Car l'immobilité de l'esprit n'est possible qu'en l'absence de celui qui fait l'expérience, de l'observateur qui a encore conscience de sa propre existence. La tranquillité de l'esprit débouche sur l'état d'éveil. Vous pouvez être périodiquement en éveil devant certaines choses, et vous pouvez sonder, chercher, vous renseigner, mais ce sont toujours là les activités du désir, de la volonté, de la récognition et du profit. Ce qui est en perpétuel état d'éveil n'est ni de l'ordre du désir, ni de la production du désir. Le désir entraîne le conflit de la dualité, et les conflits sont ténèbres.


Riche et ayant beaucoup de relations, elle partait étudié le soufisme et avait quelques notions de bouddhisme.


— Naturellement, ajouta-t-elle, j'ai aussi étudié les sciences occultes et je viens maintenant chercher votre enseignement.


La sagesse réside-t-elle dans le fait d'accumuler tant de savoir ? Puis-je vous demander ce que vous chercher ?


— J'ai cherché différentes choses à différentes époques de ma vie et j'ai également trouvé ce que je cherchais. J'ai accumulé une vaste expérience et ma vie a été riche et variée. J'ai énormément lu sur des sujets très différents, et j'ai consulté l'un des plus éminents psychanalystes. Et pourtant, je cherche toujours.


Mais pourquoi faites-vous tout cela ? Pourquoi cette quête, profonde ou superficielle ?


— Quelle curieuse question ! Si l'on ne cherchait pas, on végéterait. Si l'on n'essayait pas d'apprendre sans cesse quelque chose, la vie n'aurait aucun sens, et l'on pourrait tout aussi bien mourir.

Mais, je vous le demande, qu'apprenez-vous ? En lisant ce que d'autres ont dit de la structure et du comportement des êtres humains, en analysant les différences sociales et culturelles, en étudiant un certain nombre de sciences, ou certaines philosophies, qu'êtes-vous exactement en train de réunir ?


— Je pense que si nous pouvions avoir suffisamment de savoir, nous serions libérés des luttes et des souffrances, c'est pourquoi je réunis ce savoir autant que je le peux. Le savoir est indispensable à la compréhension.


La compréhension vient-elle du savoir ? Ou bien le savoir fait-il obstacle à la compréhension créative ? Nous semblons penser qu'en accumulant des faits et des informations, en ayant un savoir encyclopédique, nous serons libérés de nos propres limites. Il n'en est tout simplement pas ainsi. L'antagonisme, la haine et les guerres n'ont pas cessé, quand bien même nous savons combien ils sont destructeurs et inutiles. Le savoir ne nous permet pas de les éviter, au contraire, il peut même les encourager et les stimuler. N'est-il pas plus important de découvrir tout d'abord pour- quoi nous amassons le savoir ?


— J'ai consulté beaucoup de grands éducateurs, et tous pensent que si le savoir peut être diffusé dans des proportions assez grandes, cela permettra de mettre fin à la haine de l'homme pour l'homme et préviendra aussi la destruction complète du monde. Je crois que c'est là la position des plus sérieux d'entre eux.


Nous possédons aujourd'hui un savoir extrême en de nombreux domaines, et cela n'a jamais empêché les sévices entre les hommes, même ceux d'un même groupe, d'une même nation, ou partageant la même religion. Le savoir nous cache peut-être un autre facteur qui est l'unique solution à toute cette souffrance et à ce chaos.


— Quel est-il ?


Dans quel état d'esprit posez-vous cette question ? Une réponse purement verbale est possible, mais cela ne ferait qu'ajouter encore d'autres mots dans un esprit déjà très encombré. Pour la plupart des gens, le savoir est une accumulation de mots ou bien une façon de consolider leurs croyances et leurs préjugés. Les mots, les pensées sont la charpente qui permet au concept du moi d'exister.


Ce concept se rétrécit ou s'étend dans l'expérience et le savoir, mais le noyau dur du moi subsiste, et le savoir ou l'instruction sont incapables de le dissoudre. La révolution, c'est d'accepter volontairement de détruire ce noyau, ce concept, puisque toute action qui découle du savoir qui s'auto-transmet ne peut que déboucher sur une souffrance plus grande et sur la destruction.


— Vous avez laissé entendre qu'il existait peut-être un élément qui pouvait représenter la solution de tous nos problèmes, et je vous demande très sérieusement quel est ce facteur. Car s'il existe et qu'on puisse axer sa vie autour de lui, cela peut donner lieu à une société entièrement différente.


Cela n'est pas du domaine de la pensée et l'esprit ne pourra jamais découvrir cet élément. Vous voulez le connaître pour orienter votre vie à partir de lui. Mais ce « vous », avec son savoir, ses peurs, ses espoirs, ses frustrations et ses illusions, ne pourra jamais s'en approcher. Et sans le découvrir réellement, acquérir simplement plus de savoir et de culture ne peut que faire obstacle à la venue de cet état.


— Si vous ne me guidez pas, il faudra que je le découvre par moi-même. Et vous dites par ailleurs que toute recherche doit cesser.


Si l'on guide, il n'est pas de découverte. C'est la liberté qui permet la découverte, et non le fait de guider. La découverte n'est pas une récompense.


— Je ne comprends plus rien à tout cela.


Vous voulez être guidée afin de découvrir ; mais si l'on vous guide, vous n'êtes plus libre, vous devenez l'esclave de celui qui sait. Celui qui déclare qu'il sait est déjà asservi à son savoir, et il doit lui aussi être libre pour découvrir. La découverte existe d'instant en instant, c'est pourquoi le savoir peut y faire obstacle.


— Pourriez-vous m'expliquer à nouveau, s'il vous plaît ?


Le savoir est toujours du domaine du passé. Ce que vous savez fait déjà partie du passé, n'est-ce pas ? Vous ne connaissez ni le présent ni le futur. L'action du savoir, c'est de renforcer le passé. Ce que nous pourrions découvrir serait peut-être radicalement différent et nouveau et votre savoir, qui n'est qu'accumulation du passé, ne peut en aucun cas appréhender le nouveau, l'inconnu.


— Voulez-vous dire qu'il faut se débarrasser de tout notre savoir si nous voulons trouver Dieu, l'amour, ou quoi que cela puisse être ?


Le moi appartient au passé, au pouvoir d'accumuler les choses, les vertus, les idées. La pensée est le résultat de ce conditionnement d'hier, et c'est avec cet instrument que vous espérez découvrir l'inconnaissable. Cela ne se peut pas. Le savoir doit cesser pour que cette autre chose puisse être.


— Mais comment vider son esprit de tout savoir ?


Il n'y a pas de « comment », pas de recette. L'application d'une méthode ne peut qu'accentuer le conditionnement de l'esprit, car cela permet d'obtenir un résultat et non pas un esprit libéré du savoir et du moi. Il n'existe aucun moyen, à part la conscience lucide et passive de la vérité pour ce qui est du savoir. - J.K.


Note 46 - L'action du savoir - Commentaire sur la vie tome 2

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