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L'aide

Les rues étaient pleines de monde et les boutiques rengorgeaient d'objets. Nous étions dans les quartiers chics de la ville, mais il y avait dans ces rues des gens de tous les milieux, des riches et des pauvres, des ouvriers et des employés de bureau. Ces rues étaient par ailleurs très cosmopolites, et l'on voyait là des hommes et des femmes du monde entier, quelques-uns en costume national, mais la plupart habillés à l'européenne.

Les voitures, vieilles et neuves, étaient légion et, par cette matinée de printemps, les chromes et le poli des voitures les plus chères resplendissaient et les gens avaient un visage souriant et ouvert. Les magasins aussi grouillaient de monde, et rares étaient ceux qui semblaient avoir remarqué le ciel bleu. Tous étaient attirés par les vitrines, les robes, les chaussures, les voitures dernier modèle et l'étalage de la nourriture. Il y avait des pigeons partout, passant entre les pieds des gens et entre les innombrables voitures.


Une librairie présentait les derniers livres des plus grands auteurs. Les passants ne semblaient pas avoir le moindre souci, la guerre était loin, dans l'autre partie du monde. L'argent, la nourriture et le travail abondaient, et il y avait énormément de gaspillage. Les rues étaient encaissées comme des canyons entre les très hauts immeubles, et il n'y avait pas d'arbres. C'était une ville très bruyante dans laquelle on percevait l'étrange agitation d'un peuple qui possédait tout et pourtant n'avait rien.


Une immense église se dressait entre des boutiques de mode, et face à une énorme banque. Toutes deux étaient imposantes et semblaient nécessaires. Dans l'église, un prêtre en surplis et en étole faisait un sermon au sujet de Celui qui avait accepté de souffrir pour l'amour de l'homme. Les fidèles étaient agenouillés et priaient parmi les cierges, les statues et l'encens. Le prêtre psalmodiait et l'assistance lui répondait. Puis tous se relevèrent et sortirent dans les rues ensoleillées, entrant dans les magasins qui regorgeaient d'articles. L'église était maintenant silencieuse, seules quelques personnes y étaient encore, perdues dans leurs propres pensées. Les décorations, les vitraux aux magnifiques couleurs, la chaire, l'autel et les cierges - tout était conçu pour apaiser l'esprit de l'homme.


Peut-on trouver Dieu dans les églises, ou au fond de nos cœurs ? Le désir de réconfort suscite l'illusion, et c'est ce besoin qui permet de bâtir des églises, des temples et des mosquées. Nous nous perdons dans ces églises, ou dans l'illusion d'un État omnipotent, et la réalité passe à côté de nous. L'important devient un feu qui dévore tout. La vérité, ou ce que vous voudrez l'appeler, ne peut pas se découvrir par le biais de l'esprit. La pensée ne peut la rechercher, nul chemin n'y mène et la vérité ne s'acquiert pas grâce au culte, aux prières ou au sacrifice. Si nous recherchons le réconfort et la consolation, nous les trouverons d'une façon ou d'une autre, mais en même temps nous aurons davantage de souffrance et de douleur. Le désir de réconfort, de sécurité, a le pouvoir de créer toutes les formes d'illusion. Ce n'est qu'à partir du moment où l'esprit est parfaitement immobile qu'apparaît la possibilité de la venue du réel.


Nous formions un petit groupe et B. demanda s'il n'est pas indispensable d'être aidés si nous voulons comprendre un tant soit peu le délicat problème de la vie. Ne doit-il pas y avoir un guide, un être éclairé qui nous désigne le bon chemin?


— N'avons-nous pas été déjà assez loin dans cette voie, demanda S. Je ne veux plus chercher de gourou ou de maître à penser.


— Mais si vous ne voulez vraiment plus qu'on vous aide, pourquoi êtes-vous là ? demanda B. Voulez-vous dire que vous avez rejeté tout désir d'être guidé ?


— Non, je ne crois pas y être parvenu, et j'aimerais beaucoup analyser ce besoin de chercher à être aidé ou guidé. Je ne vais plus voir les différents maîtres, anciens et modernes, comme on fait du shopping, c'est vrai. Mais cependant, j'ai encore besoin d'aide et j'aimerais savoir pourquoi. Et est-il possible qu'un jour je ne ressente plus ce besoin ?


— En ce qui me concerne, je ne serais pas là si je ne m'attendais pas à une aide quelconque, déclara M. Il m'est déjà arrivé de recevoir de l'aide et c'est pourquoi je suis là. Quand bien même vous aurez démontré tout ce qu'il peut y avoir de nuisible dans le fait de suivre les enseignements de quelqu'un, vous m'avez pourtant énormément aidé et je continuerai à venir à vos conférences et causeries tant que cela me sera possible.


Sommes-nous en train d'essayer de démontrer si oui ou non nous avons été aidés ? Un docteur, le sourire d'un passant ou d'un enfant, une relation avec quelqu'un, une feuille poussée par le vent, une modification climatique, et même un maître, un gourou - tout cela peut aider. L'homme éveillé peut trouver de l'aide n'importe où, mais la plupart d'entre nous somnolent et ne connaissent qu'un certain maître ou un certain livre, et c'est là notre problème. Vous faites attention à ce que je dis, n'est-ce pas ? Mais si quelqu'un d'autre vous dit la même chose, peut-être en des termes différents, vous ne l'entendez pas. Vous écoutez celui qui vous semble faire autorité, et vous vous fermez au discours des autres.


— Mais j'ai constaté que ce que vous disiez était toujours sensé, répondit M., c'est pourquoi je vous écoute attentivement. Ce que disent les autres est souvent très plat, très vague - ou peut-être est-ce moi qui suis ainsi. Mais le fait est que cela m'aide énormément de vous écouter, aussi pourquoi ne le ferais-je pas ? Même si tout le monde me répète que je ne fais que vous suivre, je continuerai à venir vous voir au- tant que cela sera possible.


Pourquoi sommes-nous ouverts à une certaine forme d'aide et fermés à toute autre ? Consciemment ou inconsciemment, vous pouvez m'accorder votre amour, votre compassion, vous pouvez m'aider à comprendre mon problème ; mais pourquoi suis-je tellement persuadé que l'aide ne peut venir que de vous, que vous êtes l'unique sauveur ? Comment se fait-il que vous soyez ma seule référence, l'unique autorité en la matière? Je vous écoute, je suis attentif à tout ce que vous déclarez, mais je suis indifférent ou sourd à ce que peut dire un autre. Pourquoi ? N'est-ce pas là la question ?


— Vous ne dites pas que nous ne devrions pas rechercher d'aide, dit L., mais vous nous demandez plutôt pourquoi nous accordons tant d'importance à celui qui nous aide, faisant dépendre de lui toute autorité. C'est bien cela ?


Je vous demande également pourquoi vous cherchez de l'aide. Lorsque tel est le cas, quelle en est la motivation profonde ? Lorsque consciemment et délibérément, on décide de chercher de l'aide, que voulons-nous au juste, est-ce de l'aide, ou un moyen de fuir, ou encore une consolation ? Que cherchons-nous exactement ?


— Il existe différentes formes d'aide, dit B. De l'employé de maison au chirurgien au faîte de sa carrière, du professeur de lycée au savant de réputation mondiale, tous représentent une certaine forme d'aide. Dans toute civilisation, il est nécessaire d'être aidé, non pas seulement au niveau ordinaire mais également d'être guidé par un maître spirituel éclairé qui peut ainsi aider l'homme à trouver l'ordre et la paix.


Essayons d'éviter les généralités et de déterminer ce que représente le fait d'être guidé, ou aidé, pour chacun d'entre nous. Cela ne nous permet-il pas de résoudre nos problèmes individuels, nos douleurs et nos souffrances ? Si vous êtes un maître spirituel, ou un docteur, je viens vous voir afin qu'on me désigne une heureuse façon de vivre, ou pour être guéri d'une quelconque maladie. Nous attendons de l'homme éclairé qu'il nous enseigne une façon de vivre, et nous cherchons auprès de l'homme instruit le savoir et l'information. Nous voulons réussir, nous voulons réaliser, nous voulons être heureux, et pour ce faire nous essayons de trouver un modèle de vie qui nous permettra d'atteindre ce que nous désirons, que ce soit sacré ou profane.


Après avoir essayé beaucoup de choses, nous en venons à penser que la vérité est le but suprême, l'ultime forme de paix et de bonheur, et nous voulons la découvrir elle aussi. Et nous essayons à nouveau d'obtenir ce que nous désirons. Mais le désir peut-il jamais déboucher sur la réalité ? Le désir, aussi noble soit-il, peut-il susciter autre chose que l'illusion ? Et quand le désir entre en action, ne met-il pas en place la structure de l'autorité, de l'imitation et de la peur ? C'est bien là le processus psychologique habituel, n'est-ce pas ? Et s'agit-il en fait d'aide, ou bien d'auto-illusion ?


— J'ai toutes les peines du monde à ne pas me laisser convaincre par ce que vous dites! s'exclama B. J'en comprends les raisons et le sens que cela aurait. Mais je sais aussi que vous m'avez aidé. Est-ce quelque chose que je peux nier ?


Si quelqu'un vous a aidé et que vous lui reconnaissiez une autorité absolue, n'est- ce pas là une façon de faire obstacle à toute nouvelle aide éventuelle, non seulement en ce qui le concerne, mais aussi pour ce qui est de vous-même ? L'aide n'est-elle pas partout autour de soi ? Pourquoi ne la chercher que dans une direction ? Et lorsque vous êtes si limité, si renfermé, quelle aide pouvez-vous recevoir ? Par contre, lorsque vous êtes ouvert, vous êtes en état de percevoir l'aide infinie qui est en toutes choses, depuis le chant de l'oiseau jusqu'à l'appel de l'être humain, du brin d'herbe à l'immensité des cieux. Le poison et la corruption entrent en jeu lorsque vous considérez une seule personne comme l'autorité infaillible, votre guide, votre sauveur. N'êtes- vous pas de cet avis ?


— Je crois que je comprends ce que vous voulez dire, dit L., mais j'ai cependant un problème. Il y a de nombreuses années que je fais partie des suiveurs, de ceux qui cherchent un guide. Lorsque vous mettez à jour la véritable signification du besoin de suivre, intellectuellement, je suis d'accord, mais il reste une partie de moi qui s'oppose à cela. Croyez-vous que je puisse intégrer cette contradiction interne au point de n'avoir plus besoin de suivre quiconque ?


Deux désirs qui s'opposent ne peuvent être intégrés, et si vous introduisez un troisième terme, à savoir le désir d'intégration, vous ne faites que compliquer le problème, sans le résoudre. Mais si vous comprenez réellement la signification du fait de demander de l'aide, de vous en remettre à une autorité, qu'il s'agisse de l'autorité de quelqu'un d'autre ou d'un modèle de vous-même que vous vous imposez, c'est cette compréhension qui, en soi, mettra fin à tout suivisme. - J.K.


Note 43 - L'aide - Commentaire sur la vie tome 2

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