Le succès
Question : J'ai envie de faire une certaine chose, et malgré de nombreuses tentatives, je n'y arrive pas. Dois-je abandonner, ou persister dans mes efforts?
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Krishnamurti : Réussir, c'est arriver, parvenir quelque part, et nous vénérons le succès, n'est-il pas vrai? Lorsqu'un pauvre garçon devient multimillionnaire en grandissant ou qu'un élève ordinaire devient Premier ministre, on l'applaudit, on fait grand cas de sa personne ; donc, tous les garçons et les filles ont envie de réussir d'une manière ou d'une autre.
Le succès est-il une réalité, ou n'est-ce rien qu'une idée après laquelle courent les hommes? Car dès qu'on est arrivé, il y a toujours un autre point, plus éloigné, qui reste à atteindre. Tant que vous êtes à la poursuite du succès, dans quelque domaine que ce soit, vous êtes voué à la lutte et au conflit, n'est-ce pas? Même une fois arrivé, pour vous le repos n'existe pas, car vous voulez aller plus haut, avoir plus. Comprenez-vous? La quête du succès est le désir d'un « plus », et un esprit qui exige sans cesse ce « plus » n'est pas intelligent ; au contraire, c'est un esprit médiocre et stupide, car exiger ce « plus » implique une lutte constante sous forme du modèle à suivre imposé à l'esprit par la société.
Qu'est-ce, en définitive, que le contentement, et qu'en est-il du mécontentement? Le mécontentement, c'est la lutte pour l'obtention d'un « plus » et le contentement, c'est la cessation de cette lutte ; mais on ne peut avoir accès au contentement sans comprendre tout ce processus du « plus », et les raisons qui poussent l'esprit à vouloir l'obtenir.
Si vous échouez à un examen, par exemple, vous devez le repasser, n'est-ce pas? De toute façon, les examens sont des événements très fâcheux, car ils ne sont pas significatifs, ils ne révèlent pas la vraie valeur de votre intelligence. Réussir un examen est avant tout affaire de mémoire, ce peut être aussi une question de chance ; mais vous faites des efforts pour réussir vos examens, et en cas d'échec vous insistez.
La même chose se passe pour la plupart d'entre nous dans la vie quotidienne. Nous lut- tons pour obtenir quelque chose, sans jamais nous arrêter un instant pour nous demander si la chose recherchée mérite nos efforts. N'ayant jamais soulevé la question, nous n'avons donc pas encore découvert qu'elle n'en vaut pas la peine, pas encore résisté à l'opinion de nos parents, de la société, de tous les Maîtres et de tous les gourous. Ce n'est qu'après avoir compris la pleine signification de ce « plus » que nous cessons de penser en termes de succès et d'échec.
Nous avons tellement peur de l'erreur, de l'échec, et pas seulement aux examens, mais aussi dans la vie. Faire une erreur est considéré comme une chose abominable, car à cause d'elle on va nous critiquer, nous réprimander. Mais en définitive, pourquoi devrions-nous être infaillibles? Tout le monde ne commet-il pas des erreurs? Et le monde cesserait-il d'être en proie à l'horrible pagaille dans laquelle il est si nous ne faisions jamais d'erreurs? Si vous avez peur de faire des erreurs, vous n'apprendrez jamais.
Les adultes commettent sans cesse des erreurs, mais ils ne veulent pas que vous en commettiez, et ils étouffent donc vos initiatives. Pourquoi? Parce qu'ils craignent qu'en observant tout, en remettant tout en question, en faisant des expériences et des erreurs, vous ne fassiez vos propres découvertes, et que vous rompiez avec l'autorité de vos parents, de la société, de la tradition. Voilà pourquoi on vous incite à poursuivre cet idéal de succès ; et le succès - vous l'aurez remarqué - s'exprime toujours en termes de respectabilité. Même le saint dans sa soi-disant réalisation spirituelle doit devenir respectable, sinon il n'est ni reconnu ni suivi par quiconque.
Nous pensons donc toujours en termes de succès, en termes de « plus » ; et ce « plus » correspond aux critères d'évaluation de la société respectable. Autrement dit, la société a très soigneusement instauré certains critères selon lesquels vous êtes reconnu comme ayant réussi ou échoué. Mais si vous aimez une activité de tout votre être, vous ne vous préoccupez pas alors de succès ou d'échec. Nul être intelligent ne s'en soucie.
Mais malheureusement les gens intelligents sont rares, et personne ne vous parle jamais de tout cela. Le seul souci d'une personne vraiment intelligente est de voir les faits et de comprendre le problème - ce qui ne signifie pas penser en termes de succès et d'échec. C'est seulement lorsque nous n'aimons pas vraiment ce que nous faisons que nous pensons en ces termes-là. - Jiddu Krishnamurti