La pureté
Question : Est-il exact que seuls les purs peuvent réellement être sans peur?

Krishnamurti : N'ayez aucun de ces idéaux de pureté, de chasteté, de fraternité, de non-violence, et j'en passe, car ils n'ont pas de sens. Ne vous efforcez pas d'être courageux, car ce n'est qu'une réaction à la peur. Être sans peur requiert une immense lucidité, une compréhension du processus global de la peur et de ses causes.
La peur est là tant que vous voulez être en sécurité - que ce soit dans votre mariage, dans votre travail, dans votre situation, dans vos responsabilités, dans vos idées, dans vos croyances, dans votre relation au monde ou dans votre relation à Dieu. Dès l'instant où l'esprit est en quête de sécurité ou de gratification sous une forme quelconque, à un niveau quelconque, la peur est forcément là ; l'important est d'être conscient de ce processus et de le comprendre. Ce n'est pas une question de soi-disant pureté. L'esprit qui est vif, attentif, qui est libéré de la peur, est un esprit innocent, et seul l'esprit innocent peut comprendre la réalité, la vérité ou Dieu.
Malheureusement, dans ce pays comme ailleurs, les idéaux ont pris une importance extraordinaire - l'idéal étant ce qui devrait être: je devrais être non-violent, je devrais être bon, et ainsi de suite. L'idéal - ce qui devrait être - est toujours quelque part au loin, par conséquent il n'est jamais. Les idéaux sont une plaie car ils vous empêchent de penser de manière directe, simple et vraie, quand vous êtes confronté aux faits. L'idéal - ce qui devrait être - est une fuite face à ce qui est.
Ce qui est, c'est le fait que vous ayez peur: peur de ce que vos parents vont dire ou de ce qu'on va penser, peur de la société, peur de la maladie, peur de la mort. Or, si vous affrontez ce qui est, que vous le regardez en face, que vous l'approfondissez, même s'il est source de souffrance, et si vous le comprenez, alors vous vous apercevrez que votre esprit devient extraordinairement lucide et simple, et cette lucidité même porte en elle la cessation de la peur. Malheureusement, notre éducation nous inculque tout ce fatras philosophique des idéaux qui consistent simplement à tout remettre à plus tard. Ils sont dénués de validité.
Admettons que vous ayez, par exemple, un idéal de non-violence ; mais êtes-vous non-violent? Alors pourquoi ne pas affronter votre violence, pourquoi ne pas vous voir tel que vous êtes? Si vous observez votre propre avidité, votre ambition, vos plaisirs et vos distractions, et que vous commencez à comprendre tout cela, vous constaterez que le temps - en tant que moyen de progrès, moyen de réaliser un idéal - cesse alors d'exister.
C'est l'esprit, en fait, qui invente le temps dans lequel s'inscrit cette réalisation, c'est pourquoi l'esprit n'est jamais calme, jamais tranquille. Un esprit tranquille est frais et innocent, même s'il a derrière lui mille ans d'expérience, et c'est pour cette raison qu'il est capable de résoudre les problèmes de relations qu'il rencontre dans sa propre existence. - Jiddu Krishnamurti
Question 58 - La pureté - Le sens du bonheur (1966)