Apprendre, mais dans quel but ?
Cela vous intéresse-t-il de savoir ce qu'est apprendre ? Vous allez à l'école pour apprendre, n'est-ce pas ? En quoi cela consiste-t-il ? Y avez-vous déjà réfléchi ? Comment apprenez-vous, pourquoi apprenez-vous, et qu'apprenez-vous ? Quel est le sens, la signification profonde de cette démarche d'apprendre ? Vous êtes obligés d'apprendre à lire et à écrire, d'étudier diverses matières, et aussi d'acquérir une technique, de vous préparer à une profession vous permettant de gagner votre vie. C'est tout cela que sous-entend pour nous ce terme - et en général nous ne cherchons pas plus loin. Dès que nous réussissons certains examens et que nous avons un travail, une profession, nous oublions apparemment tout ce qui concerne l'idée d'apprendre.
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Mais en finit-on jamais d'apprendre ? Nous disons qu'apprendre dans les livres et apprendre par l'expérience vécue sont deux choses différentes: mais est-ce bien exact ? Grâce aux livres nous apprenons ce que d'autres ont écrit dans le domaine des sciences, par exemple. Après quoi nous faisons nos propres expérimentations et nous continuons d'apprendre grâce à elles. Nous apprenons aussi grâce à l'expérience vécue - en tout cas c'est ce que nous disons. Mais en définitive, pour sonder les profondeurs extraordinaires de la vie, pour découvrir ce qu'est Dieu ou la vérité, il faut que la liberté soit là ; mais lorsqu'on passe par l'expérience, y a-t-il cette liberté de découvrir, d'apprendre ?
Avez-vous réfléchi à ce qu'est l'expérience? C'est le sentiment qui naît en réponse à un défi, n'est-ce pas ? Relever un défi est une expérience. Mais apprend-on vraiment à travers l'expérience ? Quand vous répondez à un défi, à un stimulus, votre réponse a pour base votre conditionnement, l'éducation que vous avez reçue, votre environnement culturel, religieux, social et économique. Vous répondez à un défi en étant conditionné par votre histoire personnelle en tant qu'hindou, chrétien, communiste - bref, en fonction de ce que vous êtes. Si vous ne prenez pas vos distances avec votre environnement, votre réponse à un défi, quel qu'il soit, ne fait alors que renforcer ou modifier cet environnement. Par conséquent, vous n'êtes jamais vraiment libres d'explorer, de découvrir, de comprendre ce qu'est la vérité, ce qu'est Dieu.
L'expérience ne libère donc pas l'esprit, et le fait d'apprendre à travers elle n'est qu'une manière progressive de former de nouveaux schémas fondés sur notre ancien conditionnement. Je pense qu'il est très important de bien saisir ce fait car, en vieillissant, nous nous retranchons de plus en plus derrière notre expérience, dans l'espoir d'apprendre ; mais ce que nous apprenons est dicté par l'environnement qui nous est propre, ce qui signifie que l'expérience à travers laquelle on apprend n'est jamais la liberté, mais une simple modification du conditionnement.
Apprendre, qu'est-ce au juste ? Vous commencez par apprendre à lire et à écrire, à rester assis tranquillement, à obéir ou à ne pas obéir ; vous apprenez l'histoire de tel ou tel pays, vous apprenez les langues indispensables à la communication ; vous apprenez comment gagner votre vie, comment fertiliser les champs, et ainsi de suite. Mais y a-t-il un état d'apprentissage où l'esprit soit libéré du conditionnement, un état d'où toute quête soit absente ? Comprenez-vous la question?
Ce qu'on appelle apprendre est un processus continu d'ajustement, de résistance, de subjugation: nous apprenons soit pour éviter, soit pour gagner quelque chose. Mais existe-t-il un état dans lequel l'esprit ne soit pas l'instrument de l'apprendre, mais de l'être ? Voyez-vous la différence ? Tant que nous sommes dans l'acquisition, dans le gain, dans l'évitement, l'esprit est obligé d'apprendre, et cet apprentissage forcé implique toujours énormément de tension, de résistance. Pour apprendre, il faut se concentrer, n'est-ce pas ? Et qu'est-ce que la concentration?
Avez-vous jamais remarqué ce qui se passe quand vous vous concentrez sur quelque chose ? Lorsqu'on vous demande d'étudier un livre alors que vous n'en avez pas envie - et même si vous en avez envie, d'ailleurs -, vous devez résister et renoncer à d'autres choses. Pour vous concentrer, vous résistez à votre tendance à regarder par la fenêtre, ou à bavarder avec le voisin. La concentration suppose toujours un effort, n'est-ce pas ? Dans la concentration il y a un mobile, une stimulation, un effort pour apprendre en vue d'acquérir quelque chose ; et notre existence est une succession d'efforts de ce genre, un état de tension dans lequel nous essayons d'apprendre.
Mais s'il n'y a aucune tension, aucun effort pour acquérir, pour amasser des connaissances, l'esprit n'est-il pas alors en mesure d'apprendre beaucoup plus à fond et beaucoup plus vite ? Il devient un instrument d'investigation permettant de savoir ce qu'est la vérité, ce qu'est la beauté, ce qu'est Dieu - autrement dit, il n'est plus soumis à une quelconque autorité, que ce soit celle du savoir ou de la société, celle de la religion, de la culture ou du conditionnement.
Ce n'est qu'une fois délivré du fardeau du savoir que l'esprit est en mesure de découvrir ce qui est vrai ; et dans le processus de découverte il n'y a pas d'accumulation, n'est-ce pas ? Dès que vous commencez à accumuler les fruits de l'expérience ou de l'étude, c'est comme une ancre qui vous retient et vous empêche d'avancer. Dans le processus d'investigation, l'esprit se déleste au fur et à mesure, d'un jour sur l'autre, de ce qu'il a appris, il est donc toujours frais, il n'est pas contaminé par l'expérience de la veille. La vérité est vivante, elle n'est pas statique, et l'esprit qui souhaite la découvrir doit lui aussi être vivant, et non encombré de savoir et d'expérience. Alors seulement il existe un état au sein duquel peut naître la vérité.
Tout cela peut être difficile à saisir au niveau des mots, mais pas au niveau du sens, pour peu que vous y appliquiez bien votre esprit. Pour explorer les questions les plus profondes de la vie, l'esprit doit être libre ; mais dès lors que vous apprenez et faites de cet acquis la base des investigations à venir, votre esprit n'est pas libre et votre enquête s'arrête là. – J.K.