La politique
La politique était toute sa vie et son parti lui obéissait, bien qu'il ne fût pas toujours d'accord avec lui. C'était un rêveur, mais il avait mis ses rêves de côté pour se consacrer à la politique. Son ami, spécialiste des questions économiques, était là aussi ; il avait des théories compliquées avec maints exemples à l'appui sur la distribution de revenus considérables. Il semblait bien connaître les théoriciens d'économie politique tant de droite que de gauche, et il avait sa propre théorie pour le salut économique de l'humanité. Il avait la parole facile et savait trouver le mot juste. Tous deux avaient harangué des foules immenses.

Avez-vous remarqué la place considérable faite dans les journaux et les magazines aux politiciens, aux discours des politiciens et à leurs activités ? Certes on donne aussi d'autres nouvelles, mais ce sont les informations politiques qui prédominent. Ce sont les circonstances extérieures - confort, argent, situation et pouvoir - qui semblent dominer et façonner notre existence. C'est aux apparences extérieures - titre, costume, salut, drapeau - que l'on attache de plus en plus d'importance, alors que la signification même de la vie est oubliée ou délibérément laissée de côté.
Il est tellement plus facile de se jeter dans des activités politiques ou sociales que de chercher à comprendre la vie dans sa plénitude. C'est un moyen respectable de fuir les mesquineries et les tracas de la vie quotidienne que de s'associer à une pensée organisée, de s'abandonner à des activités politiques ou religieuses. Vous Pouvez parler d'un cœur léger des grandes choses et des leaders politiques ; les belles formules sur les affaires du monde vous permettent de faire illusion et de dissimuler ainsi votre manque de profondeur, et votre esprit remuant, encouragé par la tendance populaire, peut se fixer dans une activité précise: la propagation de l'idéologie d'une nouvelle ou d'une ancienne religion.
La politique est la réconciliation des effets ; et comme la plupart des gens se soucient beaucoup des effets, c'est aux apparences que l'on accorde la plus grande importance. En modifiant les effets nous espérons faire régner l'ordre et la paix ; mais malheureusement ce n'est pas aussi simple que cela. La vie forme un tout, et on ne peut pas dissocier l'extérieur de l'intérieur ; l'extérieur affecte nécessairement l'intérieur, mais l'intérieur prend toujours le pas sur l'extérieur.
Ce que vous êtes finit toujours par se traduire en manifestations extérieures. On ne peut pas séparer l'extérieur de l'intérieur, on ne peut pas les maintenir dans des compartiments étanches, car ils ré-agissent constamment l'un sur l'autre ; mais la soif intérieure, les mobiles secrets et les tendances profondes sont toujours plus puissants. La vie ne dépend pas de l'activité politique ou économique ; la vie n'est pas seulement dans ses manifestations extérieures, pas plus que l'arbre n'est dans la feuille ou la branche. La vie est un tout et sa beauté ne se découvre que dans la parfaite intégration de ses parties. Cette intégration ne se produit pas au niveau superficiel des conciliations politiques et économiques ; on ne la trouve qu'au-delà des causes et des effets.
C'est parce que nous jouons avec les causes et les effets et que nous n'allons jamais au-delà, si ce n'est en paroles, que nos vies sont vides, que nos existences n'ont aucun sens. C'est pour cette raison que nous sommes devenus les esclaves des agitations politiques et du sentimentalisme religieux. Notre seul espoir est dans l'intégration de tous les éléments dont nous sommes faits. Ce n'est pas une idéologie ou l'identification à une autorité politique ou religieuse qui nous permettra de réaliser cette intégration, mais seulement une vigilance en profondeur et en étendue. Cette vigilance doit plonger dans les couches les plus profondes de la conscience et ne doit pas se contenter de réponses superficielles. - J.K.