La renonciation aux richesses
C'était un homme qui avait été très riche, et qui avait abandonné toute sa fortune. Il avait été en possession de biens considérables, et il les avait administrés avec un sens aigu de ses responsabilités, car il était charitable et n'avait pas le cœur trop dur. Il donnait sans compter et oubliait ce qu'il donnait. Il traitait bien ses subordonnés et veillait à ce qu'ils ne manquassent de rien, et il faisait facilement de l'argent dans un monde qui s'essouffle à courir après lui. Il n'était pas comme ces gens dont les comptes en banque et les investissements sont plus gros qu'eux, ces solitaires qui ont peur des gens et de leurs requêtes, qui se claquemurent dans l'atmosphère spéciale de leur richesse. Ce n'était pas un tyran domestique, mais il ne cédait pas souvent, et il avait beaucoup d'amis, et pas seulement pour sa richesse. Maintenant il avait peu de choses et il essayait de mener une vie simple pour voir ce que tout cela signifiait et s'il y avait quelque chose au-delà des appétits des centres physiques.
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Il est relativement facile de se contenter de peu ; se libérer du fardeau de la richesse n'est pas difficile quand on part à la recherche d'autre chose. L'urgence de la quête intérieure fait disparaître la confusion que donne la possession de nombreux biens, mais pour se libérer des choses extérieures il ne suffit pas de mener une vie simple. La simplicité et l'ordre extérieurs ne donnent pas nécessairement la paix intérieure et l'innocence. Il est bon d'être simple à l'extérieur, car cela donne une certaine liberté, c'est un geste d'intégrité ; mais pourquoi faut-il que nous commencions invariablement par la simplicité extérieure, et non par la simplicité intérieure?
Est-ce pour convaincre les autres et nous convaincre nous-mêmes de notre intention? Pour- quoi voulons-nous nous convaincre nous-mêmes? Pour se libérer des choses il faut de l'intelligence, et non des gestes et des convictions ; et l'intelligence n'est pas personnelle. Si l'on prend conscience de tout ce qu'implique la richesse, cette conscience même libère, et toutes les déclarations et tous les gestes dramatiques deviennent superflus. C'est lorsque cette lucidité intelligente ne fonctionne pas que nous avons re- cours aux disciplines et aux détachements. Peu importe le plus ou le moins, c'est l'intelligence qui importe ; et l'homme intelligent, se contentant de peu, n'est plus possédé par ses biens.
Mais le contentement est une chose, la simplicité en est une autre. Désirer se contenter de peu, désirer mener une vie simple, c'est encore une marque de l'attachement. Le désir engendre la complexité. Le contentement vient avec la conscience de ce qui est, et la simplicité avec l'affranchissement de ce qui est. Il est bon de mener une vie simple, mais il est beaucoup plus important d'être simple et clair à l'intérieur. La clarté ne pénètre pas un esprit tendu vers un but quelconque ; l'esprit ne peut créer la clarté. L'esprit peut s'adapter, peut disposer ses pensées selon un certain ordre ; mais ce n'est pas cela la clarté ou la simplicité.
L'action de la volonté engendre la confusion parce que la volonté, même sublimée, est encore l'instrument du désir. La volonté d'être, de devenir, si valable et noble soit-elle, peut déblayer le terrain au milieu de la confusion, peut donner certaines directives, mais un tel processus conduit à l'isolement, et la clarté ne peut pas percer l'isolement L'action de la volonté peut momentanément baigner le premier plan dans une lumière nécessaire à la seule activité, mais elle ne peut jamais illuminer le fond même, car la volonté est la conséquence de cet arrière-plan lui-même. L'arrière-plan élève et nourrit la volonté et la volonté peut aviver l'arrière-plan, accroître ses potentialités, mais elle ne peut jamais purifier l'arrière-plan.
La simplicité n'est pas de l'esprit. Avoir en vue la simplicité n'est qu'une adaptation hypocrite, une défense contre la peine et le plaisir ; c'est une activité qui enferme le moi et engendre diverses formes de conflits et de confusion. C'est le conflit qui provoque l'obscurité, à l'intérieur et à l'extérieur. Le conflit et la clarté ne peuvent pas coexister ; et c'est être libéré des conflits qui donne la simplicité, non triompher du conflit. Ce qui est conquis doit être conquis et reconquis sans cesse, et ainsi le conflit est interminable.
Comprendre le conflit c'est comprendre le désir. Le désir peut s'isoler en qualité d'observateur, celui qui comprend ; mais cette sublimation du désir n'est qu'un ajournement de la compréhension et non cette compréhension. Le phénomène de l'observateur et de l'observé n'est pas un processus double, mais un seul et unique processus ; et ce n'est qu'en expérimentant le fait de ce processus unique que l'on peut être libéré du désir, du conflit. La question de savoir comment expérimenter ce fait ne doit jamais se poser. Cela doit arriver ; et cela n'arrive que lorsqu'il y a vigilance et lucidité passive. Vous ne pouvez pas connaître l'expérience vraie de vous trouver face à face avec un serpent venimeux en l'imaginant ou en méditant sur elle confortablement installé dans votre chambre. Pour rencontrer le serpent il vous faut aller en pleine campagne loin des rues et des lumières électriques.
La pensée peut enregistrer mais elle ne peut pas faire l'expérience de la libération du conflit ; car la simplicité ou la clarté n'est Pas de l'esprit.