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La vie juste

Question : Je travaille comme enseignant et je suis en conflit constant avec le système scolaire et le modèle de la société. Dois-je renoncer à tout travail ? Quel est le bon moyen pour gagner honorablement sa vie ? Y a-t-il un mode de vie qui ne perpétue pas le conflit ?

Ceci est une question plutôt complexe et nous l’approfondirons pas à pas.

Qu’est-ce qu'un enseignant ? Ou bien il informe sur l’histoire, la physique, la biologie, etc., ou bien il apprend en même temps que son élève à bien se connaître. C’est un processus de compréhension de tout le mouvement de la vie. Si j’enseigne la psychologie au lieu de la biologie ou de la physique, l’élève me comprendra-t-il, ou bien mes indications l’aideront-elles à se comprendre lui-même ?


Nous devons faire très attention, et être très clairs sur ce que nous entendons par enseignant. Un professeur de psychologie existe-t-il du tout ? Ou bien n’y a-t-il que des professeurs se fondant sur les faits ? Existe-t-il un enseignement qui vous aidera à vous comprendre vous-même ? On pose la question suivante : je suis un enseignant. Je dois, non seulement lutter avec les systèmes scolaires et les méthodes d'éducation en vigueur, mais de plus, ma propre vie est une bataille constante contre moi-même. Dois-je renoncer à tout cela ? Alors, si j'y renonce, que ferai- je ? L’auteur de la question ne demande pas seule­ ment ce qu'est un bon enseignement, il veut aussi apprendre ce qu'est une vie juste.


Qu’est-ce qu'une vie juste ? Dans la situation actuelle de la société, il n'y a pas de mode de vie juste. Vous devez gagner votre vie, vous vous mariez, vous avez des enfants, vous en assumez la responsabilité, alors vous acceptez la vie d'un ingénieur ou d'un professeur. Telle que la société existe, peut-il y avoir un mode de vie juste ? Ou bien le chercher n’est-il que la poursuite d’une chimère, un désir de quelque chose de plus ? Que doit-on faire dans une société corrompue qui se contredit comme elle le fait, où il y a tant d’injustice ? — car telle est la société dans laquelle nous vivons. Il n'y a pas que les enseignants qui se demandent ce qu'ils doivent faire.


Est-il possible de vivre dans cette société, non seulement pour avoir des moyens honnêtes de gagner sa vie, mais aussi pour vivre sans conflit ? Est-il possible de gagner sa vie honnêtement et, en même temps, de mettre fin à tout conflit intérieur ? S'agit-il de deux choses distinctes : gagner sa vie comme il faut et ne pas avoir de conflit intérieur ? Ces deux choses se trouvent-elles dans des compartiments séparés et étanches ? Ou bien vont-elles de pair ? Vivre une vie sans conflit exige énormément de compréhension de soi et par conséquent une grande intelligence — pas l'intelligence brillante de l'intellect, mais l'aptitude à observer, à voir objectivement ce qui se passe, à la fois à l'extérieur et à l'intérieur, et savoir qu'il n'y a pas de différence entre le dehors et le dedans.


C'est comme le flux et le reflux d'une marée. Vivre dans cette société que nous avons créée, sans aucun conflit intérieur et tout en gagnant convenablement sa vie, est-ce possible ? Sur quoi dois-je mettre l'accent, sur un gagne-pain honnête, ou bien sur une vie juste, c'est-à-dire sur la découverte d’un moyen de vivre sans conflit ? Qu'est-ce qui est plus important ? Ne vous contentez pas de m'écouter pendant que je parle, en étant ou non d’accord avec moi, en disant : « ce n’est pas pratique, ce n’est pas comme ci, ce n’est pas comme ça » — car il s’agit de votre problème. Nous nous demandons mutuellement : existe-t-il un mode de vie qui entraîne de manière naturelle un moyen convenable de gagner sa vie et qui, en même temps, nous permette de vivre sans une seule ombre de conflit ?


On a dit qu’il est impossible de vivre ainsi, sauf dans un couvent, comme un moine ; parce que vous avez renoncé au monde et à toute sa misère, et vous vous êtes engagé au service de « Dieu », parce que vous avez dédié votre vie à une idée ou à une personne, une image ou un symbole, vous vous attendez à ce qu’on vous soigne et qu'on s'occupe de vous. Mais très peu de monde continue à croire aux monastères, ou à dire : « je vais renoncer à moi-même ». Si, effectivement, ils renoncent, c’est pour se livrer à l’image d’un autre, telle qu'ils l'ont créée ou projetée.


Vivre une vie sans l’ombre d’un conflit n’est possible que si vous avez compris toute la signification de la vie — qui est la relation et l’action. Quelle est l'action juste, en toutes circonstances ? Une telle chose existe- t-elle ? Existe-t-il une action juste qui soit absolue et non relative ? La vie est l’action, le mouvement, la parole, l'acquisition du savoir et aussi les rapports avec les autres, qu’ils soient profonds ou superficiels. Vous devez trouver une relation juste si vous voulez trouver une action juste qui soit absolue.


Quelle est votre relation actuelle avec une autre per­ sonne — non cette chose romanesque et superficielle, pleine d’imagination et de fioritures, qui disparaît en quelques minutes — mais quel est, en réalité votre rapport avec quelqu’un ? Quel est votre rapport avec une certaine personne en particulier ? — peut-être intime, comportant une relation sexuelle, impliquant une dépendance réciproque, une possession mutuelle, produisant par conséquent de la jalousie et de l’antagonisme. L’une des deux personnes du couple part au bureau, ou bien pour quelque travail physique où, dans le but de réussir, elle se montre ambitieuse, avide, compétitive, agressive ; elle revient à la maison et devient un mari (ou une femme) soumis, amical, peut- être affectueux. C'est le rapport quotidien réel.


Personne ne peut le nier. Et nous demandons : est-ce une relation juste ? Non, certainement pas, il serait absurde de prétendre qu’elle est bonne. Nous disons cela, mais nous continuons de la même façon. Nous reconnais­ sons que c’est faux, mais nous ne semblons pas être à même de comprendre ce qu’est une relation juste — excepté selon le modèle établi par nous-mêmes, par la société. Nous pouvons la vouloir, la souhaiter, la désirer ardemment, mais toutes ces envies ne la font pas apparaître. Nous devons approfondir sérieusement la question afin de nous rendre compte.


Une relation est généralement sensuelle — commençons par là —-puis la sensualité entraîne le sentiment d’avoir un compagnon ou une compagne, et aussi un sens de dépendance mutuelle que vient augmenter la création d’une famille. S’il y a de l’incertitude dans cette dépendance, cela fait déborder le vase. Afin de pouvoir établir un rapport juste, il faut examiner ce qu’est cette grande dépendance mutuelle. Du point de vue psychologique, pourquoi dépendons-nous tellement de l’autre dans nos relations réciproques ? Est-ce parce que nous sommes désespérément seuls ? Est-ce parce que nous n’avons confiance en personne, pas même en notre propre mari ou notre femme ? D’un autre côté, la dépendance donne un sentiment de sécurité, de protection contre ce vaste monde de terreur. Nous disons : «je t’aime ». Cet amour comporte toujours le sens de la possession mutuelle. Lorsque cette situation se trouve menacée, tout le conflit apparaît. C’est notre relation réciproque actuelle, intime ou autre. Nous nous créons une image l’un de l'autre et nous nous y accrochons.


A partir du moment où vous êtes lié à une autre personne, ou bien à une idée, à un concept, la corruption a commencé. C'est ce dont nous devons nous rendre compte et nous ne le voulons pas. Pouvons-nous vivre ensemble sans être liés, sans dépendre psychologiquement l'un de l’autre ? A moins de découvrir cela, vous vivrez toujours en conflit, car la vie est relation. Pouvons-nous objectivement, sans motif aucun, observer les conséquences de l'attachement et nous en défaire immédiatement ?


L’attachement n'est pas le contraire du détachement. Si je suis attaché et que je lutte pour me détacher, je crée un contraire. A partir de ce moment, le conflit apparaît. Il n'y a pas de contraire, il n'y a que ce que j’ai, qui est l’attachement. Il n’y a que le fait de l’attachement — dans lequel je vois toutes les conséquences de l'attachement sans amour — et non la poursuite du détachement. Le cerveau a été conditionné, éduqué, formé à observer ce qui est et à créer son contraire. « Je suis violent et je ne dois pas l’être », d’où conflit. Mais si je n'observe que la violence, sa nature — il s’agit d’observer et non d'analyser — alors le conflit qui naît du contraire se trouve totalement éliminé. Si l’on veut vivre sans conflit, ne s'occuper que de « ce qui est »,, tout le reste n’est pas. Et si l’on vit de cette manière — ce qui est possible — en demeurant avec « ce qui est », alors « ce qui est » s’éteint et meurt. Faites-en l’expérience.


Quant vous aurez réellement compris la nature des relations qui n’existent qu’en l’absence d’attachement, d’image de l’autre, alors s’établit une réelle communion.


Action juste signifie une action précise, exacte, non fondée sur un mobile, une action qui ne soit ni dirigée, ni engagée. La compréhension d’une action juste, d’une relation juste, fait naître l'intelligence. Non pas celle de l’intellect, mais cette intelligence profonde qui n’est pas la vôtre ou la mienne. Elle vous dictera ce que vous devez faire pour gagner votre vie ; lorsqu’elle existe, vous pouvez être jardinier ou cuisinier, peu importe. Sans cette intelligence, vos moyens de subsis­ tance vous seront dictés par les circonstances.


Il existe une façon de vivre sans conflit ; en l’absence de conflit, l’intelligence vous indiquera le mode de vie juste. - Jiddu Krishnamurti


Note 24 – La vie juste - Questions et réponses


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