Le mécontentement
Question : Je suis insatisfait de tout. J’ai beaucoup lu réfléchi, mais mon mécontentement avec tout l'univers subsiste. Ce dont vous parlez me mécontente, me trouble et me dérange encore plus. A présent, je ressens envers vous de la frustration et de l’antagonisme. Qu est-ce qui ne va pas dans ce que vous dites ? Ou bien y a-t-il quelque chose d ’anormal chez moi ?
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On observe ce qui se passe dans le monde, on constate la surpopulation, la pollution, la corruption et la violence dans presque tous les pays et on cherche une réponse. Vous pouvez être mécontentés, non seulement par ce que dit l'orateur, mais par tout ce qui vous entoure — votre travail, votre femme ou votre mari, votre liaison et bien davantage. On est mécontent. C’est le sort commun de la plupart d’entre nous.
Ou bien ce mécontentement devient une flamme qui nous consume, ou bien on le compense en recherchant une satisfaction quelconque parmi les diverses activités de la vie. Au lieu de lui permettre de nous consumer comme une flamme, la plupart d'entre nous en arrivent presque à le détruire. Nous sommes si faciles à satisfaire, si crédules, si prêts à accepter que, graduellement, notre mécontentement s'estompe et nous devenons etre humain normal et médiocre, dépourvu de vitalité, d’énergie et d'incitation à faire quoi que ce soit.
L'auteur de la question semble dire qu'il est passé par tout cela ; il a beaucoup lu et réfléchi sur la vie, il a probablement parcouru le monde entier et n’a pas trouvé de réponse à son mécontentement. Les gens réfléchis, conscients de ce qui se passe autour d’eux et à l’intérieur d’eux-mêmes savent que la politique, la science et la religion n’ont donné de réponse à aucun de nos profonds problèmes humains. Nous avons évolué et nous nous sommes développés du point de vue technique, mais intérieurement, nous sommes mécontents. En écoutant l’orateur, l’auteur de la question se trouve encore plus troublé, mécontent et hostile, et demande ce qui ne va pas dans ce qui est dit — ou bien y a-t-il quelque chose d’anormal chez lui ? Au lieu d’accepter, de rester tranquillement assis et d’acquiescer, il s’oppose à l’orateur, il n’accepte pas.
On doit clairement indiquer si ce mécontentement a une cause car, dans ce cas, il recherche le contentement, la satisfaction, le plaisir. Le mécontentement crée son contraire, le désir d’être contenté, satisfait, complètement bourgeois. Si le désir de celui qui se sent mécontent est de trouver quelque chose qui le satisfasse complètement, afin de ne jamais être perturbé, il trouvera un moyen de se procurer ce contentement, et le mécontentement s’éteindra et disparaîtra.
C’est peut-être ce que font la plupart d’entre nous. Vous avez assisté à tel ou tel entretien, vous venez ici à la recherche de quelque satisfaction, quelque certitude et assurance, quelque vérité satisfaisante. La plupart d’entre nous sont très facilement satisfaits, par la cuisine, la politique ou quelque aspect de la religion. Ainsi, progressivement et inévitablement, l’esprit se rétrécit et s’étrique, alors qu’il dispose de capacités tellement immenses.
Si on ne se satisfait de rien, qu'on est mécontent avec l’univers entier — selon l'expression de cette personne —•pas simplement au niveau d'un manque de logement ou d'argent, alors ce mécontentement n'a pas de cause ; c’est le mécontentement proprement dit, et non dû à quelque chose. Ceux qui sont habités par cette flamme du mécontentement sont rares. Peut- être l'un d’entre eux vient ici, écoute, et son mécontentement augmente, le consume entièrement. Alors, que faire s’il est tout à fait mécontent de toute la structure de la pensée ? Il se trouve dans un état immuable.
Il ne cherche pas, il ne désire pas, ne poursuit pas une chose ou l'autre. Ce mécontentement l’embrase. Et l'orateur aussi est immuable. Ce qu'il dit est ainsi ; pas parce qu'il est dogmatique, superstitieux, romanesque ou qu'il aime s'imposer. Il dit que si vous comprenez la conscience avec son contenu et la libération de cette même conscience de son contenu, cela donne une dimension totalement différente. Il dit cela depuis 50 ans, non parce qu'il l'a inventé, mais parce que c'est ainsi.
Voilà deux entités, deux hommes : l'un est tout à fait mécontent, rien ne le satisfait, ni les mots, ni les livres, ni les idées, ni les dirigeants, ni la politique, rien; il est alors dans un état immuable ; l’autre l’est également, il ne bouge pas, ne cède pas. Qu'est-ce qui se passe ? Voilà deux êtres humains, l’un totalement mécontent du fond de son esprit et de son cœur et l’autre qui dit, également du fond de son esprit et de son cœur : « c’est ainsi » ; alors, ces deux entités se rencontrent.
Il ne s'agit pas d’une chose romanesque, issue de l’imagination. C'est ainsi. Mais si l'un est en opposition avec l’autre, il a déjà fait un mouvement. Il n'est pas demeuré tout à fait mécontent. A partir du moment où il dit : « je m’oppose à vous et à ce dont vous parlez », il s'est éloigné de ce qui le consume, il s'est déjà adouci. Toutefois, l'autre, sans opposition, répète : « c'est ainsi ». Lorsque la première personne rencontre l’orateur sans opposition, sans rien attendre de lui, il s’embrase. Alors, ils sont tous deux pareils. Le feu est le feu. Ce n'est pas votre feu, mon feu, c’est le feu. Quand il est étouffé, tous deux sont différents. - Jiddu Krishnamurti
Note 27 – Le mécontentement - Questions et réponses