Pensée et conscience
Question : Quel est le rapport entre la pensée et la conscience ? Pourquoi semblons-nous incapables d’aller au-delà de la pensée?
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Qu’est-ce que penser et qu’est-ce qu'être conscient ? Est-ce deux choses différentes ? Quand vous dites, quel est le rapport entre la pensée et la conscience, cela implique, n'est-ce pas, qu'il s'agit de deux entités différentes, de deux mouvements différents ? Nous devons commencer par considérer ensemble ce qu'est la pensée, car c'est sur l'ensemble de cette question que reposent toute notre conduite et nos activités. La pensée fait partie de nos émotions, de nos sentiments, de nos réactions, et du fait de reconnaître ces dernières. Qu'est-ce que la conscience ? Avoir conscience de quel que chose, être lucide, être capable de reconnaître, de comprendre, c'est tout le domaine du fonctionnement de l’esprit et c’est plus ou moins ce que nous entendons par la conscience.
On demande : « quel est le rapport entre les deux ? » Toutes nos activités reposent sur la pensée, avec ses images, ses souvenirs du passé ou ses projections dans l’avenir, ainsi que l’immense activité qui s'engage dans tous les domaines : technique, psychologique, physique. D'autre part, nos relations mutuelles se fondent sur la pensée, celle qui a créé l’image que vous vous êtes faite de quelqu'un et celle de vous que celui-ci a projetée.
Cette pensée se base assurément sur le savoir, l'expérience, la mémoire. La réaction de cette dernière est la pensée. Quant à l’expérience, la connaissance, la mémoire et le mouvement de la pensée, il s’agit là d'un processus matériel. Ainsi, la pensée est toujours limitée, le savoir étant limité. Il n'existe de savoir complet sur aucun sujet — excepté comment mettre fin au savoir, ce qui est tout autre chose. Ainsi, dans le champ d’action du savoir et du mouve ment de la mémoire, la pensée est circonscrite, bornée, délimitée.
Quel rôle joue la pensée dans l'acte d’être conscient ? Tout le savoir que nous avons amassé, toutes les expériences, les souvenirs, non seulement personnels, mais aussi collectifs, les réactions génétiques, l'expérience accumulée par les générations successives, tout le labeur, l'angoisse, la peur, et les plaisirs, les dogmes, les croyances, les attachements, la douleur du chagrin — tout cela constitue notre conscience. Vous pouvez lui ajouter ou lui soustraire des choses, mais il s’agit toujours du mouvement de la pensée sous forme de conscience.
On peut avancer qu’il existe une super-conscience, mais elle ferait encore partie de la pensée. La conscience est en mouvement constant, fractionnant le « vous » et le « moi ». Notre conscience consiste en son contenu ; sans lui, que serait-elle ? Si la conscience se compose de toutes les diverses activiés de la pensée que nous nommons conscience, y a-t-il une autre conscience qui soit tout à fait distincte de la première ? Pour en arriver là, on doit découvrir si la pensée peut prendre fin — non pas une fin provisoire, un intervalle entre deux pensées, une période de silence ou un mouvement inconscient.
La pensée peut-elle jamais prendre fin ? Ce problème a préoccupé des personnes sérieuses qui ont beaucoup approfondi le sujet par la méditation. La pensée peut-elle prendre fin, avec son énorme puissance, avec, derrière elle, son grand volume d’énergie créée pendant des millénaires dans les domaines scientifique, économique, religieux, social et personnel ? Toute cette activité peut-elle se terminer ? Ce qui signifie : ce que la pensée a édifié dans notre conscience, ce dont nous som mes faits, qui est le contenu de notre conscience, cela peut-il prendre fin ?
Pourquoi vouloir y mettre un terme ? Quel est le mobile derrière le désir de mettre fin à la pensée ? Est-ce parce que nous avons découvert par nous-mêmes qu'elle crée une peine intense, une grande angoisse à l'égard de l'avenir, angoisse découlant du passé et existant dans le présent, entraînant un sentiment d'isolement et de solitude absolus ?
En posant cette question : « la pensée peut-elle prendre fin ? », cherchez-vous une méthode pour y mettre fin, un système que vous appliquerez jour après jour pour y arriver ? Si vous vous exercez tous les jours, cette pratique même intensifie la pensée, bien sûr. Ainsi, que faire ? On se rend compte de la nature de la pensée, de sa superficialité, des jeux intellectuels auxquels elle se livre. On sait comment elle divise : en nationalités, en croyances religieuses, etc., et le conflit perpétuel qu’elle cause de notre naissance à notre mort. Est-ce là la raison pour laquelle vous voulez mettre un terme à la pensée ? On doit être aussi clair que possible sur le motif de cette volonté, car c’est lui qui dictera et dirigera. On peut vivre dans l’illusion que la pensée a pris fin. C’est le cas de plusieurs personnes, mais cette illusion n'est qu’une projection de plus de la pensée qui désire prendre fin.
La pensée et ce qu’elle a construit sous forme de conscience avec son contenu — tout cela peut-il prendre fin ? Si l'orateur dit oui, que vaut cette affirmation ? Absolument rien. Mais peut-on se rendre compte de la nature de la conscience et du mouvement de la pensée en tant que processus matériel et l'observer ? Peut-on le faire ?
Peut-on observer le mouvement de la pensée, non comme un observateur qui la regarde, mais comme si elle-même devenait consciente de son propre mouvement ? Autrement dit, peut-on à la fois voir s’éveiller la pensée et la voir observer son propre mouvement ? Prenez un exemple très simple, l'avidité : observez-la quand elle s’éveille en vous, puis posez-vous la question : « l’observateur, celui qui pense, est-il distinct de la pensée ? » Observer la pensée est assez facile : je me mets à part en tant qu’observateur et surveille ma pensée, ce que font la plupart d’entre nous.
Mais cette séparation est illusoire et fallacieuse, parce que celui qui pense est la pensée. Celui qui observe peut-il être absent de son observation ? L’observateur, le penseur, est le passé — les souvenirs, les images, le savoir, les expériences, tout ce qu’il a accumulé au cours du temps, c’est l’observateur. Celui-ci nomme une certaine réaction « avidité » et, ce faisant, il est déjà prisonnier du passé. En nommant la réaction que nous appelons « avidité », nous l’avons placée dans le passé.
Que se passera-t-il, par contre, si on ne nomme rien et qu’on se contente de l’observation pure, dans laquelle il n’y a pas de division entre l’observateur et la chose observée, le penseur et la pensée, l’expérimentateur et l'expérience ? Notre conditionnement nous pousse à établir cette division entre l’observateur et la chose observée, et c’est pourquoi nous nous donnons tant de peine pour maîtriser cette dernière. La réaction est : « je suis avide », mais nous disons : «je suis distinct de l’avidité, par conséquent je peux la maîtriser, je peux agir sur elle, je peux la réprimer, je peux y trouver du plaisir. Je peux intervenir en ce qui la concerne. Le fait est que celui qui pense est la pensée. Il n’y a pas de penseur sans pensée.
Donc, observez sans souvenirs du passé ni réactions se projetant immédiatement dans l’observation. Faites de l'observation pure, sans aucune direction, sans aucun mobile ; alors, en approfondissant, on trouve que la pensée peut en effet prendre fin. La pensée est un mouvement, et le temps en est un aussi, donc le temps est de la pensée. Cela est la vraie méditation : celle qui permet à la pensée de suivre son propre mouvement, comment il naît, comment il crée l'image et comment il la poursuit ; c’est observer de telle sorte qu'on ne reconnaisse pas ce qui est observé.
Pour simplifier : observez un arbre sans lui donner de nom, sans vous demander à quoi il peut servir, contentez- vous de l'observer. Cela met fin à la division entre l'arbre et vous, mais sans que pour autant, vous deveniez l'arbre, j'espère ! Le mot, avec ses réactions neuro logiques, crée la division. En d'autres termes, peut- on observer sa femme ou quelqu'un d'autre sans le mot, donc sans l'image et tous les souvenirs se rapportant à cette relation ? — ce qui revient à l'observation pure ? Dans cette observation qui est l'attention complète, la pensée n'a-t-elle pas pris fin ? Cela exige beaucoup d'attention, pas à pas, en surveillant comme un scientifique consciencieux qui fait très, très attention. Quand on fait cela, la pensée prend fin, et par conséquent le temps s’arrête. - Jiddu Krishnamurti
Note 43 – Pensée et conscience - Questions et réponses