La contradiction
C'était un politicien célèbre et bien en place, quelque peu arrogant et impatient. D'une grande culture, il était plutôt ennuyeux et compliqué dans ses exposés. Il ne pouvait pas se permettre d'être subtil, car il était trop engagé dans la lutte ; il était le public, l'État, le pouvoir. Il avait une grande facilité d'élocution, et cette facilité se retournait souvent contre lui ; il était incorruptible, et c'était cela qui lui donnait de l'autorité sur le public. Il était assis dans cette pièce et semblait curieusement mal à l'aise. Il n'y avait plus de politicien, mais un homme nerveux et embarrassé. Toute son arrogance et son assurance étaient tombées ; il n'y avait plus qu'interrogation anxieuse, considération et mise à nu.
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Le soleil entrait par la fenêtre, ainsi que le bruit de la circulation dans la rue. Les perroquets, tels de brillants éclairs de lumière verte, revenaient se mettre à l'abri sur les arbres de la ville, ces très grands arbres que l'on peut voir au bord des routes et dans les jardins particuliers. Tout en volant, les perroquets poussaient des cris discordants. Ils ne volaient jamais en droite ligne, mais se laissaient tomber, remontaient, ou se déplaçaient sur le côté, sans cesser de jacasser et de siffler. Leurs cris et leur façon de voler étaient en contradiction avec Lorsque vous dites que vous êtes en conflit, cela doit se rapporter à quelque chose de particulier: s'agit-il de votre mari, de vos enfants, de vos activités sociales? Si, comme vous le dites, votre conflit n'a pas de rap- port avec cela, alors cela ne peut être qu'un conflit entre ce que vous êtes et ce que vous voudriez être, entre le réel et l'idéal, entre ce qui est et le mythe de ce qui pourrait être. Vous avez une idée de ce que vous pourriez être, et le conflit et la confusion viennent peut-être du désir de vous conformer à ce moi idéal qui est une projection de vous-même. Vous luttez pour être quelque chose que vous n'êtes pas. Est-ce cela?
« Je commence à voir d'où vient mon trouble. Je crois que ce que vous dites est vrai. »
Le conflit est entre le réel et le mythe, entre ce que vous êtes et ce que vous voudriez être. Le mythe a été cultivé depuis l'enfance et s'est progressivement élargi et enfoncé en vous, creusant le fossé chaque jour davantage entre vous et la réalité, et constamment modifié par les circonstances. Ce mythe, comme tous les idéaux, les objectifs, les utopies, est en contradiction avec ce qui est, l'implicite, le réel.Ce mythe, comme tous les idéaux, les objectifs, les utopies, est en contradiction avec ce qui est, l'implicite, le réel. Ainsi le mythe est une évasion, le moyen de fuir ce que vous êtes. Cette fuite crée inévitablement le conflit stérile des contraires ; et tout conflit, intérieur ou extérieur, est vain, futile, stupide, source de confusion et d'antagonisme.
Ainsi, si j'ose dire, votre trouble provient du conflit entre ce que vous êtes et le mythe de ce que vous pourriez être. Le mythe, l'idéal, est irréel ; c'est une évasion, une projection de votre moi, il n'a aucune réalité. Le réel est ce que vous êtes. Ce que vous êtes est beaucoup plus important que ce que vous pourriez être. Vous pouvez comprendre ce qui est, mais vous ne pouvez pas comprendre ce qui pourrait être. Il ne peut y avoir aucune compréhension d'une illusion, il n'y a que la compréhension de la manière dont cela se produit. Le mythe, le fictif, l'idéal, n'a aucune valeur ; c'est un résultat, une fin, et ce qui est important c'est de comprendre le processus qui l'a provoqué.
Pour comprendre ce que vous êtes, que ce soit agréable ou déplaisant, le mythe, l'idéal, la projection du moi dans un futur, doit entièrement cesser. C'est alors seulement que vous pourrez vous mesurer avec ce qui est. Pour comprendre ce qui est, il faut être libéré de toute distraction. La distraction est la condamnation ou la justification de ce qui est. La distraction est comparaison ; c'est la résistance ou la discipline dirigée contre le réel. La distraction est l'effort ou l'obligation de comprendre.
Toute distraction est un empêchement à la compréhension de ce qui est. Ce qui est n'est pas statique ; il est en perpétuel mouvement, et pour le suivre l'esprit ne doit être attaché aucune croyance, à aucun espoir de succès, à aucune crainte d'échec. Ce n'est que dans la lucidité passive mais vigilante que ce qui est se dévoile. Ce dévoilement n'appartient pas au temps. - Jiddu Krishnamurti
Note 51 - La contradiction - Commentaire sur la vie tome 1