La fragmentation
Question : Peut-il y avoir une mort psychologique vis-à-vis du moi ? Découvrir cette possibilité correspond à un processus de prise de conscience où n’entrerait aucun choix. Afin d'observer sans choisir, il semble que nous devions prendre fin ou mourir vis-à-vis de l’ego, du « moi ». La question est la suivante : comment puis-je observer dans mon état actuel de fragmentation ? C’est comme le « je » essayant de voir le « je ». C’est un impossible paradoxe. Veuillez l’élucider.

Krishnamurti: Ne me citez pas — ni un autre — car alors, cela ne vient pas de vous et vous devenez un être humain de seconde main, ce que nous sommes tous. C'est la première chose dont il faut se rendre compte, car cela déforme notre façon de penser. Nous sommes le résultat de la contrainte exercée par la pensée et la propagande des autres au cours de millions d'années. Si on n'est pas libre de tout cela, on ne peut jamais remonter à l'origine des choses.
On pose la question : comment puis-je observer dans mon état actuel de fragmentation ? On ne peut pas. Mais on peut observer sa fragmentation. En s'observant, on se découvre certains préjugés dans la façon de regarder. On oublie alors de se regarder soi-même pour s’attacher à la question des préjugés. On en devient conscient ; peut-on les regarder sans aucun sentiment de déformation, sans inclination personnelle ? Observez simplement les préjugés, donnez-leur la parole pour qu’ils vous racontent leur histoire, mais ce n'est pas à vous de raconter l’histoire du préjugé ; laissez se dérouler le préjugé : sa cause, son image, ses conclusions et ses opinions.
Ainsi, en découvrant le préjugé, vous commencez à découvrir que vous êtes fragmenté et que c’est la pensée qui a provoqué cette fragmentation ; il est naturel, par conséquent, que vous commenciez à être conscient du mouvement de la pensée.
Vous vous embrouillez ; quelle est cette confusion ? Oui l'a créée, à l’intérieur et à l’extérieur de vous-même ? En l’observant, vous commencez à prendre conscience du mouvement de la pensée, de sa nature contradictoire ; laissez tout cela se dérouler sous votre regard.
L’histoire se raconte, mais vous ne la lisez pas; vous dictez au livre ce qu’il devrait dire. Il ne s'agit pas de votre histoire personnelle, mais de l’histoire du genre humain. Votre vision ne peut être pénétrante si elle se contente d’être une réaction de la mémoire. La religion organisée n'est pas la religion. Toutes les absurdités qui s'y attachent, les rites, les dogmes, les théories et les théologiens en dévidant de nouvelles — cela n'est pas la religion. Bon, qu’est-ce qui nous fait dire que ce n’est pas la religion ?
Est-ce simplement un examen réfléchi de toutes les religions, de leurs dogmes, de leurs superstitions, de leurs rituels, de leur ignorance, au bout duquel on conclut : « cela est absurde»? Ou bien est-ce de s'apercevoir immédiatement que toute forme de propagande ou de contrainte n’est jamais une religion ? On voit cela instantanément et par conséquent on s’en écarte. Mais si on se contente d’un examen de diverses religions pour en tirer une conclusion, celle-ci sera limitée et pourra être démolie par un argument ou une connaissance supérieure.
Par contre, si la vision pénètre dans la nature des structures religieuses inventées par l'homme, l'esprit s'en libère aussitôt. Si on comprend la tyrannie d'un gourou — ce sont des tyrans, car ils veulent le pouvoir, une fonction ; ils savent, les autres ne savent pas — on découvre la tyrannie de tous les gourous. Ainsi, on ne va pas d'un gourou à l'autre. - J.K.
Note 20 – La fragmentation - Questions et réponses