La dévotion et le culte
Un enfant était battu par sa mère, et des cris de douleur résonnaient. La mère était très en colère et elle parlait avec véhémence à l'enfant en le battant. Lorsque nous revînmes un peu plus tard, elle était en train de caresser l'enfant, l'étreignant à l'étouffer. Elle avait les larmes aux yeux. L'enfant semblait plutôt désorienté, mais regardait sa mère en souriant.
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L'amour est une chose étrange, et comme il est facile d'en perdre la flamme chaleureuse! La flamme disparaît, et seule reste la fumée. Cette fumée emplit nos cœurs et nos esprits, et nous passons nos vies dans les larmes et l'amertume. Le chant est oublié, et les mots ont perdu leur sens ; le parfum s'est évanoui et nos mains sont vides. Nous ne savons jamais comment préserver cette flamme de la fumée, et cette fumée finit toujours par éteindre la flamme. Mais l'amour n'est pas une chose de l'esprit, l'amour n'est pas dans le filet de la pensée, on ne peut ni le rechercher, ni le cultiver, ni le chérir. Il n'existe que lorsque l'esprit est silencieux et le cœur vidé des choses de l'esprit. La chambre donnait sur le fleuve, et le soleil rayonnait sur les eaux.
Il était loin d'être sot, mais totalement en proie à l'émotion, un sentiment exubérant qui devait sans doute le ravir, car cela semblait lui procurer énormément de plaisir. Il brûlait du désir de parler, et lorsqu'on lui montra un oiseau d'un vert doré, il laissa aller ses sentiments et accabla l'oiseau de compliments. Il parla ensuite de la beauté du fleuve et chanta une chanson à ce sujet. Il avait une voix agréable, mais la pièce était trop petite. L'oiseau d'un vert doré avait été rejoint par un autre oiseau, et ils se tenaient l'un contre l'autre, lissant leur plumage.
— La dévotion n'est-elle pas un chemin vers Dieu ? Le cœur n'est-il pas purifié par le sacrifice de la dévotion? La dévotion n'est-elle pas une part essentielle de notre vie ?
Qu'entendez-vous par dévotion ?
— L'amour du plus élevé. L'offrande d'une fleur devant l'image, le symbole de Dieu. La dévotion est l'absorption complète, c'est un amour qui dépasse l'amour charnel. Je suis resté assis plusieurs heures d'affilée, complètement absorbé dans l'amour de Dieu. Dans ces moments-là, je ne suis rien et je ne sais rien, la vie tout entière est unifiée, le balayeur est le roi ne font plus qu'un. C'est un état merveilleux, que vous avez certainement éprouvé.
La dévotion est-elle amour ? Est-ce quelque chose qui diffère de notre existence quotidienne ? Est-ce une forme de sacrifice que de se dévouer à un objet, au savoir, à un emploi, ou à l'action ? Est-ce un sacrifice de soi que de se perdre dans la dévotion ? Lorsque vous vous êtes totalement identifié à l'objet de votre dévotion, peut-on parler d'abnégation de soi ? Est-ce de l'altruisme que de se fondre dans un livre, dans un chant, dans un idéal ? La dévotion consiste-t-elle à adorer une image, une personne ou un symbole? La réalité a-t-elle des symboles ? Un symbole peut-il jamais représenter la vérité ? Le symbole n'est-il pas par essence statique, et comment alors une chose figée, statique, peut-elle représenter ce qui est vivant? Votre portrait est-il vous ?
Voyons ce que nous entendons par dévotion. Vous passez plusieurs heures par jour dans ce que vous appelez l'amour et la contemplation de Dieu. Est-ce de la dévotion ? Celui qui consacre sa vie aux améliorations sociales est assidûment dévoué à son travail ; et le général, dont la fonction consiste à préparer la destruction, est lui aussi dévoué à son travail. Est-ce là de la dévotion ? Je dirai plutôt, si vous le permettez, que vous passez votre temps dans l'ivresse de l'image ou de l'idée de Dieu, et que d'autres font la même chose d'une façon différente. Mais existe-t-il une différence fondamentale entre eux et vous? Est-ce une dévotion qui a un objet ?
— Mais l'adoration de Dieu occupe ma vie entière. Je n'ai conscience de rien d'autre que de Dieu. Il emplit mon cœur.
Et l'homme qui adore son travail, son leader, son idéologie, est également consumé par ce qui l'occupe. Vous emplissez votre cœur du mot « Dieu » et un autre du mot activité ; mais s'agit-il de dévotion ? Vous êtes heureux de votre image, de votre symbole, et tel autre de ses livres ou de la musique. Est-ce de la dévotion ? Est-ce de la dévotion que de se perdre en quelque chose ? Un mari est dévoué à sa femme pour différentes raisons de satisfaction, mais la satisfaction est-elle la dévotion ? S'identifier à un pays peut être très grisant ; mais l'identification est-elle la dévotion?
— Mais le fait de me consacrer entièrement à Dieu ne fait de tort à personne. Au contraire, je suis de cette façon protégé du mal qui pourrait venir de l'extérieur en même temps que je n'en fais nullement subir à autrui.
Voilà au moins quelque chose. Mais bien que vous ne fassiez aucun tort à qui-conque, l'illusion n'est-elle pas, à un niveau plus profond, tout aussi néfaste pour vous que pour la société ?
— La société ne m'intéresse pas. J'ai fort peu de besoins. J'ai modéré mes passions et mes jours s'écoulent dans l'ombre de Dieu.
N'est-il pas important de découvrir si cette ombre masque une quelconque substance ? Vénérer l'illusion, c'est s'accrocher à ses propres satisfactions, succomber à ses appétits, à quelque niveau qu'ils soient, c'est être lubrique.
— Vous me dérangez énormément, et je ne suis pas certain de vouloir continuer cette conversation. Voyez-vous, je suis venu dans le but de vénérer le même autel que vous. Mais je vois que votre culte est entièrement différent, et ce que vous dites me dépasse. J'aimerais cependant connaître la beauté de votre culte. Vous n'avez ni tableaux, ni images, ni rituels, mais vous devez pourtant vénérer. De quelle nature est votre culte?
L'adorateur est semblable à l'adoré. Adorer quelqu'un, c'est s'adorer soi-même ; l'image, le symbole, sont des projections de soi. Somme toute, votre idole, votre livre, votre prière ne sont que le reflet de votre éducation, ce sont vos propres créations même si quelqu'un d'autre les a inventées. Votre choix s'effectue en fonction de votre satisfaction, votre choix est votre préjugé. Votre image est votre ivresse, et elle est sculptée dans votre propre mémoire. C'est vous-même que vous adorez au travers de l'image que votre pensée a créée. Votre dévotion n'est que l'amour de vous-même recouvert du chant de votre esprit. Vous êtes le tableau, le tableau n'est que le reflet de votre esprit. Une telle dévotion est une forme de mensonge à soi-même qui ne mène qu'au chagrin et à l'isolement, c'est-à-dire la mort.
La recherche est-elle dévotion ? Rechercher quelque chose n'est pas chercher ; être en quête de la vérité n'est pas la trouver. La recherche nous permet d'échapper à ce que nous sommes. Nous essayons par tous les moyens d'échapper à ce que nous sommes. Nous sommes si insignifiants, fondamentalement nous ne sommes rien, et le fait de vénérer quelque chose de plus grand que nous est aussi insignifiant et vide que nous-mêmes. L'identification avec ce qui est grand est encore une projection de ce qui est petit. Le plus est une extension du moins. L'infiniment petit en quête de l'infiniment grand ne découvrira jamais que ce qu'il est capable de trouver. Les fuites sont nombreuses et variées, mais l'esprit qui fuit est peureux, étroit et ignorant.
Le fait de comprendre le processus de la fuite libère de ce qui est. Ce qui est ne peut être compris qu'à partir du moment où l'esprit n'est plus à la recherche d'une réponse. Chercher une réponse, c'est vouloir fuir ce qui est. Cette recherche revêt différents noms, dont l'un est la dévotion. Mais afin de comprendre ce qui est, l'esprit doit être silencieux. - Que voulez-vous dire par « ce qui est »?
Ce qui est, c'est ce qui existe d'un moment à l'autre. Pour comprendre le processus de votre vénération, de votre dévotion à ce que vous appelez Dieu, il faut avoir conscience de ce qui est. Mais comprendre ce qui est n'est pas votre propos, car votre fuite devant ce qui est, que vous appelez dévotion, vous procure un plaisir plus grand et l'illusion prend ainsi une signification plus grande que la réalité. La compréhension de ce qui est ne dépend pas de la pensée, car la pensée elle-même est une fuite. Réfléchir au problème n'est pas comprendre le problème. Ce n'est que lorsque l'esprit est silencieux que la vérité de ce qui est apparaît.
— Je me satisfais de ce que j'ai. Je suis heureux avec mon Dieu, mes chants et ma dévotion. La dévotion à Dieu est le chant de mon cœur et mon bonheur est dans ce chant. Votre chant est peut-être plus clair et plus ouvert, mais lorsque je chante mon cœur est plein. Un homme peut-il demander plus que d'avoir le cœur plein ? Mon chant fait de nous des frères, et votre propre chant ne me dérange pas.
Lorsque le chant est véritablement réel, ni vous ni moi n'existons plus mais seul demeure le silence de ce qui est éternel. Le chant n'est pas le son mais le silence. Ne laissez pas le son de votre chant emplir votre cœur. - J.K.
Note 10 - La dévotion et le culte - Commentaire sur la vie tome 2