Le savoir
Le savoir est une étincelle de lumière entre deux obscurités ; mais le savoir ne peut pas aller au-dessus ni au-delà de cette obscurité. Le savoir est nécessaire à la technique comme le charbon est nécessaire à la locomotive ; mais il ne peut pas atteindre l'inconnu. L'inconnu ne se laisse pas prendre dans les filets du connu. Il faut laisser le savoir de côté pour que l'inconnu se révèle. Mais qu'il est difficile de renoncer à ses connaissances.
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Notre être est dans le passé, notre pensée est enracinée dans le passé. Le passé est ce qui est connu, et la réponse du passé jette toujours son ombre sur le présent, qui est l'inconnu. Ce n'est pas le futur qui est inconnu, c'est le présent. Le futur n'est que le prolongement du passé à travers le présent incertain. Cette brèche, cet intervalle, est comblé par la lueur intermittente du savoir, qui voile la vacuité du présent ; mais c'est le vide qui contient le miracle de la vie.
Le désir de connaître est semblable à tous les autres désirs ; il permet d'échapper à la peur du vide, de l'isolement, de la frustration, a la peur de n'être rien. Le savoir forme une brillante pellicule qui recouvre des ténèbres que l'esprit ne peut pénétrer. L'esprit a peur de cet inconnu, c'est pour cela qu'il se réfugie dans le savoir, dans les théories, les espoirs, l'imagination; toutes les connaissances sont un obstacle à la connaissance de l'inconnu.
Remiser ses connaissances, c'est faire venir la peur et renier l'esprit, qui est le seul instrument que l'on possède, c'est être vulnérable à la souffrance et à la joie. Mais il n'est pas facile de remiser ses connaissances. Être ignorant, ce n'est pas être libéré du savoir. L'ignorance est le manque de conscience de soi; et le savoir est ignorance lorsque la connaissance du moi fait défaut. Connaître le moi libère du savoir.
On ne peut échapper au savoir que si l'on a compris ce qui pousse le moi à accumuler, ce qui motive son appétit. Le désir d'emmagasiner est un désir de sécurité, un désir de certitude. Ce désir de certitude, qui se manifeste par l'identification, la condamnation ou la justification, est la cause de la peur, qui détruit toute communion.
Lorsqu'il y a communion, il n'est plus nécessaire d'accumuler. Accumuler, c'est se bâtir une forteresse qui est une prison. Les connaissances sont les pierres qui constituent les murs de cette prison. Le culte du savoir est une forme d'idolâtrie, et ce n'est pas lui qui résoudra les conflits et les misères de notre vie. Le manteau du savoir dissimule, mais ne pourra jamais nous libérer de la confusion et des souffrances sans cesse croissantes. Les voies de l'esprit ne mènent pas à la vérité, source de bonheur. Le savoir, c'est la négation de l'inconnu. J.K.
Note 9 - Le savoir - Commentaire sur la vie tome 1