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La méditation - l'effort - la conscience

La mer apparaissait derrière les montagnes, à l'est de la vallée, et une rivière qui partait du centre de la vallée allait paresseusement se jeter dans la mer. Cette rivière avait un fort débit tout au long de l'année et ne perdait rien de sa beauté en traversant une grande ville. Les gens de cette ville utilisaient cette rivière à de nombreux effets - ils y péchaient, s'y baignaient, buvaient son eau, y faisaient aboutir leurs égouts et c'est là également que l'on jetait les déchets d'une usine. Mais la rivière se débarrassait de toutes la saleté des hommes et ses eaux étaient à nouveau claires et bleues dès qu'elle sortait de la ville.

Une large route longeait la rivière, qui conduisait à des plantations de thé dans les montagnes. Elle épousait les méandres de la rivière et parfois aussi s'en écartait, mais jamais de très loin. A un certain moment la route montait ainsi que la rivière, les plantations étaient plus grandes et l'on voyait ici et là des usines de séchage et de préparation de thé. Les propriétés étaient très vastes et la rivière se perdait en chutes d'eau bruyantes. Le matin, on pouvait voir des femmes habillées de couleurs vives, le corps penché en avant, la peau tannée par le soleil très violent, cueillir délicatement les feuilles de thé dans les massifs. Il fallait que tout soit ramassé avant une certaine heure de la matinée et transporté à l'usine la plus proche avant que le soleil ne soit trop brûlant.


Car à cette altitude-là, le soleil était intense et dangereux et bien qu'elles y soient habituées, certaines femmes avaient recouvert leurs têtes avec une partie de leurs robes. Elles étaient joyeuses, adroites et rapides dans leur travail et cette partie de leur activité serait bientôt terminée pour la journée. Mais la plupart d'entre elles étaient mariées et mères de familles et il leur faudrait encore faire la cuisine et s'occuper des enfants. Elles étaient syndiquées et les planteurs les traitaient correctement, car il aurait été désastreux pour eux qu'elles fassent grève et permettent à la récolte de thé d'atteindre sa taille normale, c'est-à-dire soit perdue.


La route continuait à monter, et l'air devenait beaucoup plus froid. A deux mille quatre cent mètres d'altitude, il n'y avait plus de plantations de thé, mais des hommes travaillaient la terre et cultivaient nombre de choses qui étaient vendues dans les villes du bord de mer. De là-haut, on avait une vue magnifique sur les forêts, les plaines et sur la rivière qui semblait d'argent. Suivant un autre chemin à la descente, la route traversait des rizières vertes et brillantes et des forêts profondes. Il y avait beaucoup de palmiers et de manguiers et des fleurs partout. Les gens étaient joyeux et tout au long de la route, ils vendaient toutes sortes de choses, depuis les colifichets jusqu'à des fruits bien mûrs. Ils semblaient paresseux et décontractés, et n'avaient pas l'air de manquer de nourriture, à l'inverse des habitants des régions plus basses, où la vie était dure, les ressources maigres et la population trop dense.


C'était un sannyasi, un moine qui n'appartenait à aucun ordre particulier et qui parlait de lui comme d'une tierce personne. Alors qu'il était encore jeune, il avait renoncé aux choses de ce monde, et avait parcouru le pays en tous sens, allant voir quelques-uns des plus fameux maîtres religieux pour leur parler et suivre leurs étranges disciplines et rituels. Il avait jeûné des jours et des jours, avait vécu tout seul dans les montagnes et fait la plupart des choses qu'un sannyasi était censé faire.


Il s'était détérioré physiquement par de trop ascétiques pratiques et bien que cela fût ancien, son corps en gardait les traces. Puis un jour il avait décidé d'abandonner tout cela, les rituels et la discipline, car il lui semblait que c'était inutile et dénué de sens, et il s'était rendu dans un lointain village de la montagne où il avait passé nombre d'années en contemplation profonde. Il s'était alors passé ce qui a lieu habituellement, ajouta-t-il en souriant, il était devenu célèbre à son tour et il avait un grand nombre de disciples auxquels il enseignait des choses simples. Il avait lu l'ancienne littérature sanscrite, mais avait délaissé cela aussi. Et, bien qu'il soit nécessaire de décrire brièvement ce qu'avait été sa vie, ajouta-t-il, ce n'était pas la raison de sa venue.


— Au-delà de toute vertu, du sacrifice et de l'aide désintéressée, on trouve la méditation, déclara-t-il. Sans la méditation, le savoir et l'action ne sont qu'un lourd fardeau sans grande signification, mais peu savent ce qu'est la méditation. Si vous le voulez, nous allons en parler. Par la méditation, l'expérience de celui qui vous parle fut d'atteindre différents états de conscience ; il a vécu les expériences que tout être humain élevé connaît un jour ou l'autre, les visions qui donnent forme à Krishna, au Christ, à Bouddha.


Ce sont les résultats de notre pensée et de notre éducation et de ce que l'on peut appeler notre culture. Il existe des visions, des expériences et des puissances de diverses sortes. Mais malheureusement, la plupart de ceux qui cherchent sont pris dans les filets de leurs propres pensées et désirs, même ceux qui détiennent une très grande partie de la vérité. Possédant le pouvoir d'apaiser et le don de la parole, ils deviennent les prisonniers de leurs propres capacités et de leurs expériences. Celui qui vous parle est lui-même passé par ces dangers et il a tenté de les com- prendre et de les dépasser au mieux de ses possibilités - espérons-le du moins. Mais qu'est-ce donc que la méditation ?


Il est évident que si l'on s'interroge sur la méditation, l'effort et celui qui fait l'effort doivent être compris. Les bons efforts débouchent sur une chose et les mauvais sur une autre, mais tous deux sont contraignants, n'est-ce pas ?


— On dit que vous n'avez pas lu les Upanishads ni aucune littérature sacrée mais vous parlez comme quelqu'un qui a lu et qui sait.


Il est exact que je n'ai rien lu de tout cela, mais ce n'est pas important. Les bons efforts sont aussi contraignants que les mauvais et c'est cette servitude qui doit être comprise et brisée. C'est par la méditation que l'on brise toutes les chaînes ; c'est un état de liberté mais non pas par rapport à quelque chose. Se libérer de quelque chose, ce n'est jamais que cultiver une résistance. Avoir conscience d'être libre n'est pas être libre. La conscience, c'est faire l'expérience de la liberté ou de l'esclavage, et cette conscience est également celui qui fait l'expérience, celui qui fait l'effort. La méditation, c'est briser celui qui fait l'expérience, ce qui ne peut se faire consciemment. Car si celui qui fait l'expérience est consciemment brisé, cela renforce la volonté, ce qui fait également partie de la conscience. Notre problème dès lors, concerne le processus entier de la conscience et non plus un seul de ses aspects, grand ou petit, dominateur ou subordonné.


— Ce que vous dites semble vrai. Les chemins de la conscience sont profonds, trompeurs et contradictoires. Et ce n'est que par l'observation impartiale et par l'étude attentive que ce fouillis peut être démêlé et que l'ordre peut être restauré.


Mais en fait, le déméleur est toujours là ; on peut l'appeler l'être supérieur, l'atman et ainsi de suite, mais il fait toujours partie de la conscience, c'est toujours lui qui fait l'effort et qui essaie éternellement de déboucher quelque part. L'effort est le désir. Un désir peut être dépassé par un autre désir, et ce désir par un autre et ainsi de suite. Le désir engendre la déception, l'illusion, la contradiction et les visions de l'espoir. Le désir omnipotent d'atteindre l'au-delà, ou la volonté d'atteindre à l'innommé, est toujours de l'ordre de la conscience et met en cause celui qui fait l'expérience du bien et du mal, l'expérimentateur qui attend, qui regarde, qui espère. La conscience n'est pas à un niveau particulier, mais c'est la totalité de notre être.


— Ce qui a été dit jusqu'à présent est excellent et véritable, mais peut-on savoir ce qui peut apporter la paix, l'immobilité à cette conscience?


Rien. L'esprit, de toute évidence, recherche sans cesse un résultat, une façon de réaliser quelque chose. L'esprit est un instrument qui a été assemblé, il a été fabriqué par le temps et il ne peut fonctionner qu'en termes de résultats, de réalisations, de ce qui peut être obtenu ou évité.


— Il en est ainsi. Il a été dit qu'aussi longtemps que l'esprit est actif, qu'il choisit, qu'il recherche, qu'il expérimente, il existe aussi celui qui fait l'effort et qui crée sa propre image, en l'appelant de noms différents, et c'est là le filet dans lequel la pensée est prise.


C'est la pensée elle-même qui fabrique le filet ; la pensée est le filet. La pensée est contraignante. Elle ne peut déboucher que sur l'immense étendue du temps, le champ dans lequel le savoir, l'action, la vertu, ont de l'importance. Quel que soit son degré de raffinement ou de simplification, la pensée ne peut pas détruire la pensée. La conscience comme sujet de l'expérience, comme observateur, en tant que celui qui choisit, ou que censeur, volonté, doit se terminer, volontairement et de bonne grâce, sans le moindre espoir de récompense. Le chercheur est aboli. C'est cela la méditation. La réalité ne se recherche pas ; elle apparaît quand le chercheur a disparu. L'esprit est le temps, et la pensée ne peut révéler l'incommensurable. - Jiddu Krishnamurti


Note 37 - La méditation - l'effort - la conscience - Commentaire sur la vie tome 2

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