Le besoin de chercher
Deux oiseaux jaunes et verts à longue queue avaient l'habitude de venir chaque matin dans ce jardin et de se poser sur une certaine branche, jouant et s'appelant l'un l'autre. Ils étaient magnifiques et ne semblaient jamais se fatiguer de leurs jeux et de leurs vols. C'était un jardin protégé et beaucoup d'autres oiseaux y venaient également.
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Deux jeunes mangoustes, rapides et brillantes, leur pelage d'un jaune roux étincelant au soleil, jouaient à se poursuivre sur le petit mur d'enceinte puis, en passant par un trou, elles entraient dans le jardin. Mais qu'elles étaient prudentes et observatrices même au plus fort de leurs jeux, ne s'éloignant pas du mur, leurs yeux rouges toujours en alerte et attentifs. De temps à autre, une vieille mangouste, confortablement grasse, venait lentement dans le jardin en passant par le même trou. Ce devait être le père ou la mère des deux autres, car un jour elles vinrent toutes trois ensemble. Elles entrèrent l'une après l'autre dans le jardin, après être passées par le trou, traversèrent la pelouse l'une derrière l'autre et disparurent dans les fourrés.
— Pourquoi cherchons-nous, demanda P. Quel est le but de notre quête? Que cette recherche perpétuelle est donc lassante! Ne prend-elle jamais fin?
— Nous cherchons ce que vous voulons trouver, répondit M., et après avoir trouvé ce que nous cherchions, nous partons à la recherche d'autre chose. Si cette recherche n'existait pas, toute vie s'achèverait, stagnerait et n'aurait plus de sens.
— « Cherche et tu trouveras », cita R. Nous trouvons ce que nous voulons trouver, ce que nous désirons consciemment ou inconsciemment. Nous ne nous sommes jamais interrogés sur ce désir constant de chercher. Nous avons toujours été à la re- cherche de quelque chose et il semble qu'il en sera toujours ainsi.
— Ce désir est inévitable, déclara L. Vous pourriez aussi bien demander pourquoi nous respirons ou pourquoi les cheveux poussent. Le besoin de chercher est aussi inévitable que le jour ou la nuit.
Lorsque vous déclarez de façon si définitive que le besoin de chercher est inévitable, cela empêche de découvrir la vérité sur ce point, n'est-ce pas? Lorsque vous considérez que quelque chose est définitif, déterminé, est-ce que toute question ne devient pas inutile?
— Mais il existe certaines lois fixées une fois pour toutes, comme la loi de la gravité, et il est plus sage de les accepter que de se briser en vain les dents sur elles, répondit. L.
Nous acceptons les dogmes et les croyances pour diverses raisons psychologiques, et au travers du processus du temps ce que nous avions accepté de la sorte devient « inévitable », quelque chose de soi-disant nécessaire à l'homme.
— Mais si L. considère que le besoin de chercher est inévitable, il continuera à chercher et ce n'est pas un problème dans son cas, dit M.
Le savant, le politicien rusé, le malheureux, le malade, tous cherchent à leur façon et changent de temps à autre l'objet de leur quête. Nous cherchons tous mais nous ne nous sommes jamais demandé, semble-t-il, pourquoi nous cherchions. Ne parlons pas de l'objet de notre recherche, qu'il soit noble ou ignoble, mais essayons plutôt de découvrir, n'est-ce pas, ce que nous recherchons. Pourquoi ce besoin, cette compulsion éternelle? Est-ce inévitable? Cela doit-il continuer indéfiniment?
— Mais si nous ne cherchons pas, demanda Y., n'allons-nous pas devenir paresseux et stagner?
Le conflit sous une forme ou sous une autre passe pour être inhérent à la vie et sans lui nous avons l'impression que la vie n'aurait plus de sens. Pour la plupart d'entre nous, la cessation du combat équivaut à la mort. La recherche implique la lutte, le conflit, et ce processus est-il essentiel et vital pour l'homme, ou bien existe-t-il une autre « façon » de vivre dans laquelle n'entreraient pas la recherche et la lutte? Pourquoi cherchons-nous et que cherchons-nous?
— Je cherche des façons et des moyens d'assurer non pas ma propre survie, mais celle de mon pays, dit L.
Existe-t-il une telle différence entre la survie nationale et la survie individuelle? L'individu s'identifie à la nation, ou à une forme particulière de société et veut ensuite que cette nation ou cette société survive. La survie de telle ou telle nation est également celle de l'individu. L'individu ne cherche-t-il pas toujours à survivre, à avoir une continuité, en s'identifiant à quelque chose de plus grand ou de plus noble que lui?
— N'y a-t-il pas un moment où nous sommes soudain délivrés de cette recherche, de cette lutte, demanda M.
— Ce moment peut fort bien résulter de la lassitude, répondit R., et n'être qu'une brève pause avant que nous ne plongions à nouveau dans le cercle vicieux de la re- cherche et de la peur.
— Ou peut-être ce moment est-il hors du temps, dit M.
Ce moment en question est-il hors du temps, ou n'est-il qu'un temps de repos avant de recommencer à chercher? Pourquoi cherchons-nous, et est-il possible que cette recherche se termine? A moins que nous ne découvrions par nous-même pourquoi nous cherchons et nous luttons, l'état qui verra la fin de cette recherche sera à jamais une illusion, sans la moindre signification.
— N'y a-t-il pas de différence entre les divers objets de notre quête? demanda B.
Il y a naturellement des différences, mais dans toute recherche le besoin est fonda- mentalement identique, n'est-ce pas? Que nous cherchions la survie individuelle ou celle d'une nation ; que nous allions voir un maître, un gourou, un sauveur ; que nous suivions une discipline particulière ou que nous trouvions d'autres moyens de nous rendre meilleurs, est-ce que chacun de nous, à sa propre manière limitée ou approfondie, ne cherche pas une certaine forme de satisfaction, de continuité et de permanence? De sorte que maintenant la question n'est plus que cherchons-nous, mais pourquoi cherchons-nous? Et est-il possible que cette recherche se termine, non pas dans la frustration et la contrainte, ou parce que l'on a fini par trouver, mais parce que le besoin profond a cessé d'exister?
— Nous sommes prisonniers de cette habitude de toujours chercher, et je suppose qu'elle dérive de notre insatisfaction, dit B.
Étant mécontents et insatisfaits, nous recherchons le contentement et la satisfaction. Aussi longtemps qu'existera ce besoin d'être satisfait, de réaliser, il y aura la quête et la lutte. Car le besoin de réaliser est toujours suivi de l'ombre de la peur, n'est-ce pas?
— Comment échapper à la peur? demanda B. Vous voulez vous réaliser sans l'aiguillon de la peur,
mais existe-t-il réellement une réalisation durable? C'est ce désir d'accomplissement en lui-même qui est la cause de la frustration et de la peur. Et ce n'est qu'au moment où apparaît le sens profond de la réalisation que le désir peut disparaître. Le devenir et l'être sont deux états totalement différents, et l'on ne peut passer de l'un à l'autre ; mais il faut que le devenir cesse pour que l'être soit. - Jiddu Krishnamurti
Note 31 - Le besoin de chercher - Commentaire sur la vie tome 2