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La confusion et les convictions

Le sommet des montagnes au-delà du lac était pris dans des nuages noirs et lourds, mais les rives du lac étaient ensoleillées. C'était le début du printemps et le soleil n'était pas encore très chaud. Les arbres étaient encore dépouillés, leurs branches nues se détachant contre le ciel bleu, mais il y avait quelque chose de magnifique dans cette nudité. Ils pouvaient attendre avec patience et certitude, car le soleil était au-dessus d'eux, et dans quelques semaines ils seraient recouverts de jeunes feuilles vertes.

Un petit sentier qui partait du lac vagabondait dans les fourrés, des plantes grasses pour la plupart, qui s'étendaient sur des kilomètres, et si vous suiviez ce sentier suffisamment longtemps, vous arriviez dans une vaste prairie entourée d'arbres. C'était un endroit magnifique, retiré et lointain. Quelques vaches venaient parfois y paître, mais le tintement de leurs cloches ne semblaient jamais déranger votre solitude ou modifier l'impression de distance et d'isolement. Cent personnes auraient bien pu venir dans ce lieu enchanté, et après leur départ, malgré le bruit et les déchets qu'impliquait leur présence, tout serait resté intact, solitaire et amical.


Cet après-midi là, le soleil inondait le pré et les grands arbres sombres qui l'entouraient, sculptures vertes, hautaines et immobiles. Avec vos préoccupations et votre bavardage intérieur, l'esprit et les yeux partout à la fois, vous demandant avec angoisse si vous ne vous feriez pas mouiller par la pluie sur le chemin du retour, vous aviez l'impression d'être là sans y être ni autorisé ni bienvenu. Mais vous vous intégriez vite et finissiez par faire partie de cette solitude enchanteresse. Il n'y avait pas le moindre oiseau ; l'air était parfaitement immobile, ainsi que la cime des arbres sous le grand ciel bleu.


Cette luxuriante prairie verte était le centre de cet univers, et assis sur un rocher, vous faisiez partie intégrante de ce centre. Ce n'était pas imaginaire, l'imagination est une chose stupide. Ce n'était pas que vous tentiez de vous identifier à ce qui état si magnifiquement ouvert et splendide ; l'identification est vanité. Ce n'était pas non plus que vous essayiez de vous oublier ou de vous perdre dans cette solitude naturelle inaltérée ; toute abnégation oublieuse de soi est arrogante. Ce n'était pas le choc ou la contrainte devant tant de pureté ; toute contrainte est déni du vrai. Rien ne pouvait vous aider à accéder à cette totalité. Mais vous en faisiez pourtant partie, comme de cette prairie verte, de ce rocher si dur, du ciel bleu et des arbres majestueux. C'était ainsi. Vous pourriez vous en souvenir, mais alors vous n'en feriez plus partie et si vous y retourniez, vous ne le trouveriez jamais.


Soudain résonnèrent les notes claires d'une flûte, et au long du sentier vous avez rencontré le garçon qui en jouait. Il ne serait jamais flûtiste professionnel, mais sa musique était remplie de joie. C'était lui qui gardait les vaches. Il était trop timide pour parler et il se mit à jouer de la flûte pendant que vous marchiez près de lui sur le sentier. Il vous aurait bien raccompagné jusqu'au lac, mais c'était trop loin et il rebroussa bientôt chemin. Mais les notes de la flûte continuaient à résonner dans l'air.


Ils étaient mari et femme, sans enfants, et relativement jeunes. Petits et musclés, ils formaient un couple vigoureux et plein de santé. Elle vous regardait droit dans les yeux, tandis que lui attendait que vous regardiez ailleurs pour poser son regard sur vous. Ils étaient déjà venus deux ou trois fois, et quelque chose avait changé en eux. Physiquement, ils étaient restés identiques, mais c'est dans leur attitude que quelque chose apparaissait, dans la façon dont ils s'asseyaient, et dans leur port de tête. Ils avaient l'apparence de ceux qui sont en train de devenir, ou qui sont déjà devenus, des personnages importants. N'étant pas dans leur contexte habituel, ils étaient légèrement embarrassés, guindés, et semblaient ne plus très bien savoir pourquoi ils étaient venus, ni ce qu'ils devaient dire. Ils commencèrent donc par parler de leurs voyages, ainsi que d'autres choses, qui, dans les circonstances présentes ne présentaient pour eux qu'un intérêt très limité.


— Naturellement, finit par déclarer le mari, nous gardons notre foi dans les Vénérables de la loge, mais pour l'instant nous n'y accordons pas trop d'importance. Les gens ne comprennent rien, et ils font des Vénérables des sauveurs, des super-gourous - et ce que vous dites des gourous est parfaitement exact. En ce qui nous concerne, les Vénérables sont la partie supérieure de nous-mêmes. Ils existent, non seulement au niveau de la foi, mais en tant qu'ils ont une incidence quotidienne dans notre vie de tous les jours. Ils guident nos vies. Ils nous instruisent et nous montrent la voie.


Peut-on savoir quelle voie?


— La voie qui donne accès aux processus d'évolution d'une vie plus noble. Nous avons des portraits des Vénérables, mais ce ne sont que des symboles, des images pour retenir l'esprit, afin que naisse quelque chose de plus grand dans nos pauvres vies. Car sinon, nos vies deviendraient superficielles, vides et fausses. Tout comme il y a des leaders dans le domaine politique et économique, ces symboles fonctionnent comme guides au royaume de la pensée supérieure. Ils sont aussi nécessaires que la lumière dans les ténèbres. Nous ne sommes pas intolérants par rapport aux autres guides, aux autres symboles. Nous les accueillons tous, car en ces époques troublées, l'homme a besoin de toute l'aide qu'il peut rencontrer. Nous ne sommes pas intolérants. Mais vous, par contre, vous semblez être aussi intolérant que dogmatique lorsque vous rejetez les Vénérables en tant que guides, ainsi que toute autre forme d'autorité. Pourquoi insistez-vous tant sur le fait que l'homme doit se libérer de toute autorité? Comment pourrions-nous vivre en ce monde s'il n'existait pas une certaine notion de loi et d'ordre, sur laquelle repose l'autorité? L'homme est cruellement éprouvé, et il a besoin de ceux qui peuvent l'aider et le réconforter de façon profonde et efficace.


Quel homme?


— L'homme en général. Il peut exister des exceptions, mais l'homme ordinaire a besoin d'une certaine forme d'autorité et d'un guide qui lui permettra de passer de la vie des sens à la vie de l'esprit. Pourquoi êtes-vous contre l'autorité?


Il y a plus d'une forme d'autorité, n'est-ce pas? Il y a l'autorité de l'État en vue de l'intérêt soi-disant général. L'autorité de l'Église, du dogme, de la croyance, que l'on nomme la religion, qui s'exerce afin de libérer l'homme du mal et de l'aider à évoluer. Il y a encore l'autorité de la société, c'est-à-dire l'autorité de la tradition, de la rapacité.


je l'envie, de l'ambition ; et l'autorité du savoir personnel ou de l'expérience, qui est le produit de notre conditionnement, de notre éducation. Il y a enfin l'autorité du spécialiste, celle du talent, et l'autorité de la force aveugle et brutale, qu'elle émane d'un gouvernement, ou d'un individu. Pourquoi recherchons-nous l'autorité?


— Mais pour des raisons évidentes. Comme je l'ai dit, l'homme a besoin d'un guide auquel se référer. Étant confus et troublé, il se tourne naturellement vers une autorité qui l'aidera à sortir de cette confusion.


N'êtes-vous pas en train de parler de l'homme comme s'il s'agissait d'un être totalement différent de vous? N'êtes- vous pas vous aussi à la recherche de l'autorité?


— Si, c'est exact. Pourquoi?


— Le physicien en sait davantage que moi sur la structure de la matière, et si je veux approfondir mes connaissances en ce domaine, je m'adresse à lui. Si j'ai mal aux dents, je vais chez le dentiste. Si je suis intérieurement perturbé, ce qui est fréquent, je recherche les conseils de la partie supérieure de l'être, du Vénérable, et ainsi de suite. Quel mal y a-t-il à cela?


C'est une chose que d'aller chez le dentiste, de rouler à droite ou à gauche sur la route, ou de payer ses impôts. Mais est-ce la même chose que d'accepter l'autorité afin de se libérer de la souffrance? Il semble plutôt que ce soient deux choses totalement opposées. Peut-on comprendre et faire disparaître la souffrance psychologique en s'en remettant totalement à l'autorité d'un autre?


— Le psychologue ou le psychanalyste réussissent souvent à aider l'esprit perturbé à résoudre ses problèmes. Et en l'occurrence, l'autorité semble parfaitement profitable et utile.

Mais pourquoi recherchez-vous l'autorité de ce que vous appelez la partie supérieure de l'être, ou le Vénérable?


— Parce que tout est pour moi confus. L'esprit confus peut-il jamais découvrir ce qui est vrai?


— Pourquoi ne le pourrait-il pas?


Quoi qu'il puisse faire, l'esprit confus ne découvrira jamais que davantage de confusion. Sa quête de la partie supérieure de l'être, et les réponses qu'il reçoit seront fonction de la confusion de son état. Seule la clarté peut mettre fin à l'autorité.


— Il m'arrive aussi d'avoir l'esprit clair.


Ce que vous voulez dire, en fait, c'est que votre confusion n'est pas totale et qu'une partie de vous est restée claire. C'est cette partie soi-disant claire que vous nommez partie supérieure de l'être, Vénérable ou n'importe quoi d'autre. Et ce que je dis n'est nullement péjoratif. Mais se peut-il qu'une partie de l'esprit soit embrouillée, confuse, tandis qu'une autre ne l'est pas? Ou bien n'est-ce là qu'un vœu pieux?


— Je sais qu'il y a des moments où je n'éprouve nulle confusion, c'est tout.


La clarté peut-elle se reconnaître et se définir en tant qu'elle est non-confusion? La confusion peut-elle reconnaître la clarté? Si la confusion reconnaît la clarté, ce qui est ainsi reconnu demeure de l'ordre de la confusion. Si la clarté se définit elle-même en tant qu'état de non-confusion, cela procède de la comparaison, car elle se compare à la confusion et reste ainsi dans son champ.


— Vous essayez de me dire que ma confusion est totale, n'est-ce pas? Mais c'est tout simplement inexact, dit-il avec insistance.


Avez-vous tout d'abord conscience de la confusion ou de la clarté?


— N'est-ce pas un peu comme demander ce qui est apparu en premier, de la poule ou de l'œuf?


Pas tout à fait. Lorsque vous êtes heureux, vous n'en avez pas conscience. C'est seulement lorsque le bonheur n'est plus que vous partez à sa recherche. Lorsque vous avez conscience d'être heureux, c'est déjà que vous ne l'êtes plus. En vous en remet- tant à l'Atman - le supra-mental, le Maître, le Vénérable, ou quel que soit le nom que vous lui donniez - pour clarifier votre confusion, votre action découle de la confusion, et votre action n'est jamais que le produit du conditionnement de votre esprit, n'est- ce pas?


— C'est possible.


Étant en pleine confusion, vous cherchez à établir une autorité qui éliminera cette confusion, ce qui ne peut qu'empirer les choses.


— Oui, reconnut-il à contrecœur.


Si vous percevez la vérité contenue en cela, vous ne vous occuperez plus que d'éliminer votre confusion, et non de vous référer à une autorité quelconque, ce qui n'a aucun sens.


— Mais comment pourrais-je dissiper ma confusion?


En étant véritablement honnête à l'intérieur même de cette confusion. Reconnaître à ses propres yeux que l'on est totalement confus et perturbé constitue le début de la compréhension.


— Mais j'ai une position à sauvegarder, lança-t-il impulsivement.


C'est exactement cela. Vous avez une fonction dirigeante - et le leader est tout aussi confus que ceux qu'il dirige. Il en est ainsi dans le monde entier. Poussé par sa confusion interne, l'adepte ou le disciple choisit le leader, le Maître, le gourou, et la confusion se perpétue. Si vous désirez vraiment vous libérer de la confusion, cela de- vient votre préoccupation première, et le fait de conserver votre situation perd toute signification. Mais il y a déjà longtemps que vous jouez à cache-cache avec vous- même, n'est-ce pas?


— Oui je suppose.


Tout le monde veut devenir quelqu'un, et c'est ainsi que nous suscitons davantage de confusion et de souffrance pour nous-mêmes et pour les autres. Et cela ne nous empêche pas de vouloir sauver l'humanité! Il est indispensable de clarifier tout d'abord son propre esprit, au lieu de s'occuper de la conscience des autres.


Il y eut un long silence. Sa femme, qui jusqu'alors n'avait rien dit, prit soudain la parole avec une expression douloureuse.


Mais il se trouve que nous voulons aider les autres, et nous avons consacré notre vie à cela. Vous ne pouvez pas nous priver de ce désir humanitaire, après toutes les actions positives que nous avons faites. Vous êtes trop destructeur, trop négatif. Vous enlevez, mais que donnez- vous? Vous avez peut-être découvert la vérité, mais tel n'est pas notre cas. Nous la cherchons, et nous avons le droit d'avoir nos convictions personnelles.


Son mari la regardait anxieusement, se demandant ce qu'elle allait dire d'autre, mais elle ne cessa pas pour autant de parler.


— Après toutes ces années de travail, nous avons fini par atteindre à une certaine position au sein de notre organisation Maçonnique. C'est la première fois que nous avons la possibilité d'exercer une fonction de leaders, et c'est notre devoir de le faire.


Croyez-vous?


- J'en suis tout à fait persuadée.


Il n'y a, dans ce cas-là, aucun problème. Je n'essaie nullement de vous convaincre de quoi que ce soit, ou de vous amener à adopter un point de vue particulier. Penser à partir d'une conclusion ou d'une conviction n'est pas penser. Et la vie n'est alors qu'une forme de mort, n'est-ce pas?


— Notre vie, si nous n'avions pas de convictions, serait très vide. Ce sont nos convictions qui ont fait de nous ce que nous sommes. Nous croyons en certaines choses, et elles ont fini par faire partie intégrante de notre constitution.


Qu'elles soient ou non valides? Une croyance peut-elle être juste?


— Nous nous sommes beaucoup interrogés sur nos croyances, et nous avons découvert qu'elles recelaient une vérité.


Comment découvre-t-on la véracité d'une croyance?


— Nous savons s'il existe ou non une vérité sous-jacente dans une croyance, répondit-elle avec véhémence.


Mais comment le savez-vous?


— De par notre intelligence, notre expérience, et par la mise à l'épreuve dans notre vie quotidienne, bien entendu.


Vos croyances reposent sur votre éducation, votre culture. Elles sont le produit de votre arrière-plan passé et des influences sociales, familiales, religieuses et traditionnelles que vous avez subies, ne croyez-vous pas?


— En quoi cela serait-il néfaste?


Lorsque l'esprit est déjà conditionné par une série de croyances, comment pourrait-il jamais découvrir la vérité en ce qui les concerne? L'esprit, de toute évidence, doit d'abord se libérer de ses croyances, pour pouvoir ensuite en percevoir la vérité. Il est absurde qu'un Chrétien se moque des croyances et des dogmes de l'Hindouisme ou qu'un Hindou tourne en dérision le dogme Chrétien qui affirme que seule une certaine croyance permet d'être sauvé, car ils sont tous deux logés à la même enseigne. Pour comprendre la vérité de ce qui concerne la croyance, la conviction, le dogme, il faut se libérer de tout conditionnement en tant que Chrétien, Communiste, Hindou, Musulman ou quoi que ce soit d'autre. Car sinon, vous ne faites que répéter ce qu'on vous a appris.


— Mais la croyance qui repose sur l'expérience est de nature différente, affirma-t-elle.


Vraiment? La croyance projette l'expérience, et une telle expérience renforce alors la croyance. Nos visions procèdent elles aussi de notre conditionnement, qu'il ait été religieux ou non. N'êtes-vous pas d'accord?


— Ce que vous dites est par trop désespérant, s'exclama-t-elle. Nous sommes faibles, nous ne pouvons pas voler de nos propres ailes, et nous avons besoin de nous appuyer sur nos croyances.


En affirmant que vous ne pouvez pas voler de vos propres ailes, vous vous mettez en situation de faiblesse, et c'est ainsi que vous permettez à l'exploiteur que vous avez créé de prendre l'avantage sur vous.


— Mais nous avons besoin qu'on nous aide. Lorsque vous ne la cherchez pas, l'aide se fait jour. Elle peut provenir de la feuille de l'arbre, d'un sourire, du geste d'un enfant, ou d'un livre quelconque. Mais si vous accordez la primauté au livre, à la feuille ou à l'image, vous êtes perdu, car vous êtes alors prisonnier d'une geôle que vous venez de bâtir.


Elle était maintenant plus calme, mais quelque chose continuait à la tracasser. Son mari était sur le point de parler, mais s'en abstint. Il y eut un bref silence, puis elle reprit la parole.


— D'après ce que vous avez dit, il semble que vous teniez le pouvoir comme étant quelque chose de mauvais. Pourquoi cela? Qu'y a-t-il de mal dans le fait d'exercer un pouvoir?


Qu'entendez-vous par pouvoir? La domination de l'État, d'un groupe, d'un gourou, d'un leader, d'une idéologie ; la pression de la propagande, par laquelle les plus rusés et les plus habiles exercent leur influence sur les masses ou les prétendues masses - est-ce là ce que vous entendez par pouvoir?


— Oui, d'une certaine façon. Mais le pouvoir peut aussi permettre de faire le bien, il n'est pas seulement néfaste.


Le pouvoir au sens d'une ascendance, d'une domination, d'une influence violente sur autrui, ne peut être que mauvais. Il n'existe pas de « bon » pouvoir.


— Mais certains cherchent le pouvoir pour le bien de leur pays, ou au nom de Dieu, de la paix ou de la fraternité. C'est possible, n'est-ce pas?


Certains, en effet, agissent malheureusement ainsi. Puis- je vous demander si vous recherchez le pouvoir?


— Oui, nous cherchons à l'obtenir, répondit-elle sur un ton de défi. Mais dans le seul but de faire du bien aux autres.


C'est ce qu'ils disent tous, du tyran le plus cruel au pseudo-démocrate, du gourou au parent en colère.


— Mais nous c'est différent. Du fait que nous avons personnellement éprouvé tant de souffrance, nous voulons aider les autres à éviter les pièges dans lesquels nous sommes tombés. Les gens ne sont que des enfants, et il faut les aider pour leur bien.

Savez-vous ce qu'est le bien?


— Je crois que personne ne peut l'ignorer: ne pas faire souffrir, être gentil, généreux, ne point tuer et ne pas penser à soi.


En d'autres termes, vous voulez dire aux autres d'être généreux de cœur et d'âme. Mais est-il besoin pour ce faire d'une organisation très vaste qu'il est possible que l'un de vous dirige?

— Si nous acceptons de la diriger, c'est uniquement pour permettre à l'organisation de rester dans le droit chemin, et non parce que nous briguons un pouvoir personnel.


Le fait d'exercer un pouvoir au sein d'une organisation diffère-t-il tellement du pouvoir personnel? Vous voulez tous deux goûter le prestige que cela procure, l'impression d'être quelqu'un d'important, les possibilités de voyager qui en découlent, et ainsi de suite. Pourquoi ne pas le reconnaître simplement? Pourquoi habiller tout cela du manteau de la respectabilité, et utiliser une série de mots ronflants pour masquer votre désir de réussir et d'être reconnus, ce qui est ce que veulent la plupart d'entre nous?


— Nous ne voulons qu'aider l'humanité, affirma-t-elle. N'est-il pas étrange que l'on refuse de voir les choses telles qu'elles sont?


— Je ne crois pas, intervient le mari, que vous saisissiez pleinement notre situation. Nous sommes des gens ordinaires, et ne prétendons pas être autre chose. Nous avons nos défauts, et reconnaissons honnêtement nos ambitions. Mais ceux que nous respectons et dont la sagesse s'est exprimée de diverses façons, nous ont demandé d'accepter cette position dirigeante et si nous la refusons, elle tombera entre des mains pires que les nôtres - les mains de ceux qui ne songent qu'à leur promotion personnelle. C'est pour cela que nous avons le sentiment qu'il nous faut prendre nos responsabilités, quand bien même nous n'en sommes pas encore tout à fait dignes. J'espère sincèrement que vous comprenez.


N'est-ce pas plutôt à vous de comprendre ce que vous êtes en train de faire? Vous vous occupez de réformes, n'est-ce pas?


— Qui ne s'en occupe pas? Les grands maîtres et les leaders de ce temps comme du passé se sont toujours occupés de réformes. Les ermites, les sannyasis, sont fort peu utiles à la société.


La réforme, encore que nécessaire, n'a pas grande signification si l'on ne considère pas la totalité de l'homme. Couper quelques branches mortes ne suffit pas à rendre un arbre sain si ses racines sont atteintes. Les réformes engendrent toujours d'autres ré- formes. Et ce qui est indispensable, c'est une révolution totale et fondamentale dans notre façon de penser.


— Mais nous sommes incapables, pour la plupart, d'une telle révolution et un changement radical doit intervenir graduellement, par un processus d'évolution. Nous n'aspirons qu'à apporter notre aide à ce changement progressif, et nous avons consacré notre vie à servir l'homme. Mais vous, ne devriez-vous pas avoir davantage de tolérance envers les faiblesses humaines?


La tolérance n'est pas la compassion, elle est ce qui a été assemblé par l'esprit habile. La tolérance est une réaction devant l'intolérance, mais ni le tolérant ni l'intolérant n'éprouveront jamais de compassion. Sans l'amour, toute pseudo-bonne action ne débouchera que sur davantage de malheur et de souffrance. L'esprit qui est ambitieux, qui cherche le pouvoir, est dépourvu d'amour et ne connaîtra jamais la compassion. L'amour n'est pas la réforme, mais l'action totale. - Jiddu Krishnamurti


Note 35 - La confusion et les convictions - Commentaire sur la vie tome 3


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