Voir l'ensemble des choses
Question: Comment puis-je voir l'ensemble des choses comme un tout ?

Krishnamurti: Nous avons l'habitude de regarder les choses fragmentairement, de voir l'arbre comme une chose séparée, la femme, le bureau, le chef, tout cela fragmentairement. Comment puis-je voir le monde dont je fais partie d'une façon globale, complète et sans division ? Maintenant, monsieur, écoutez, contentez-vous d'écouter ; qui va répondre à cette question ? Qui va vous dire comment regarder — l'orateur ? Vous avez posé cette question et vous attendez une réponse, de qui ? Si la question est véritablement très grave — et je ne dis pas que votre question soit fausse — si la question est véritablement grave, alors quel est le problème ?
Le problème est alors: « Je suis incapable de voir les choses globalement, parce que je considère tout par fragments ! » Et pourquoi l'esprit considère-t-il toutes choses par fragments, pourquoi ? J'aime ma femme et je déteste mon chef de bureau ! Vous comprenez ? Si vraiment j'aime ma femme, il s'ensuit que je dois aimer tout le monde. Non ? N'allez pas dire oui, parce que vous ne le faites pas ; vous n'aimez pas votre femme et vos enfants, bien que vous puissiez le prétendre. Si vous aimiez votre femme et vos enfants, vous les éduqueriez autrement, vous en auriez soin, je ne dis pas financièrement, mais d'une autre manière. Ce n'est que quand il y a amour que les divisions cessent d'exister, vous comprenez, monsieur ?
Quand vous haïssez il y a division, et dès cet instant vous êtes anxieux, avide, envieux, brutal, violent. Mais quand vous aimez — non pas quand vous aimez avec votre intelligence, l'amour n'est pas un mot, l'amour n'est pas le plaisir — quand vous aimez vraiment, alors le plaisir, la vie sexuelle et ainsi de suite, ont une coloration différente ; dans un tel amour il n'y a pas de division. La division paraît avec la peur. Quand vous aimez il n'y a plus de « moi » ni de « vous » ni «d'eux ».
Mais maintenant vous allez dire: « Comment puis-je aimer ? Comment puis-je sentir ce parfum de la vie ? » A cela il n'y a qu'une seule réponse, regardez-vous vous-même, observez-vous vous-même ; ne vous frappez pas, mais observez et de cette observation, en voyant les choses telles qu'elles sont, peut-être naîtrez-vous à l'amour. Mais il faut travailler très durement cette besogne d'observation, et non pas en étant indolent, non pas en étant inattentif. J.K.
Le vol de l'aigle – Jiddu Krishnamurti (1895 – 1986) - (Londres, 16 mars 1969)