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Le bien, le mal

Question : Vous avez dit de l'attention totale que c'est le bien ; dans ce cas, qu'est-ce que le mal?

Krishnamurti : Je me demande si le mal existe vraiment. Je vous en prie, soyez attentifs, accompagnez-moi, cherchons ensemble. Selon nous, il y a le bien et le mal. Il y a l'amour et la jalousie, et nous disons que la jalousie c'est mal et que l'amour c'est bien. Pourquoi divisons-nous la vie, qualifiant ceci de « bien », et cela de « mal », en créant par là même le conflit des contraires?


Indéniablement, dans le cœur et l'esprit de l'homme règnent la jalousie, la haine, la brutalité, et la compassion et l'amour font défaut. Mais pourquoi divisons-nous la vie en deux camps, que nous appelons l'un le « bien » et l'autre le « mal »? N'y a-t-il pas en réalité qu'une seule et même chose - à savoir une inattention de l'esprit? Il va de soi que si l'esprit est parfaitement attentif, totalement conscient, vif, aux aguets, le bien et le mal n'existent pas: seul existe un état d'éveil. Le bien n'est plus alors une qualité, une vertu, c'est un état d'amour.


Lorsque l'amour est là, il n'y a ni bien ni mal, il n'y a que l'amour. Lorsque vous aimez vraiment quelqu'un, vous ne songez ni au bien ni au mal, cet amour emplit votre être tout entier. Ce n'est que lorsque l'attention totale - l'amour - vient à cesser que surgit le conflit entre ce que je suis et ce que je devrais être. Alors ce que je suis devient le « mal » et ce que je devrais être le prétendu « bien ».


Est-il possible, en somme, de ne plus penser en termes de fragmentation, de ne plus scinder la vie en deux, d'un côté le bien et de l'autre le mal, et de ne plus être piégés dans ce conflit? Le conflit entre bien et mal, c'est la lutte pour devenir quelque chose. Dès que l'esprit éprouve ce désir de devenir, il y a forcément effort et conflit entre les contraires. Et ce n'est pas une théorie. Observez votre esprit et vous verrez que dès que votre esprit cesse de penser en termes de devenir, il y a une cessation de l'action - qui n'est pas une stagnation ; c'est un état d'attention totale, et c'est cela le bien suprême. Mais cette attention totale reste impossible tant que l'effort de devenir quelque chose absorbe l'esprit.


Prêtez attention, non seulement à ce que je suis en train de dire, mais à tout le fonctionnement de votre esprit, et cela vous révélera la formidable persévérance avec laquelle la pensée s'évertue à devenir quelque chose, et sa lutte permanente pour être autre que ce qu'elle est-que nous appelons le mécontentement. C'est cet effort tendant vers un devenir qui est « mal », parce que l'attention y est fragmentaire et non totale. Lorsqu'il y a attention totale, toute pensée de devenir est absente, il n'y a qu'un état d'être.


Mais dès qu'on pose la question: « Comment faire pour accéder à cet état d'être, pour être parfaitement conscient? », c'est qu'on est déjà engagé sur le chemin du « mal » parce qu'on cherche à atteindre un but. Alors que si, au contraire, on reconnaît simplement que tant qu'il y a devenir, tant qu'on lutte, qu'on fait des efforts pour devenir quelque chose, on est sur la voie du « mal », si l'on est capable de saisir cette vérité, de voir simplement le fait tel qu'il est, alors on s'apercevra que c'est cela même, l'état d'attention totale ; et cet état est le bien suprême, d'où tout effort est exclu.


Bombay, le 27 février - Extrait du compte rendu de la quatrième causerie publique à Bombay, le 27 février 1955, in Collected Works of J. Krishnamurti, vol. VIII, Krishnamurti Foundation of America, 1991.

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