La liberté
Ainsi l’on reste seul avec soi-même et cet état est effectivement celui de l’homme qui considère ces questions avec beaucoup de sérieux: ne comptant sur l’aide de personne ni de rien, il est libre de s’en aller vers des découvertes. La liberté est inséparable de l’énergie et celle-ci, étant libre, ne peut jamais rien faire qui soit erroné.
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La liberté diffère totalement de la révolte. La question de « faire bien » ou de « faire mal » ne se pose pas dans la liberté. Étant libre, on agit à partir de ce centre, on est donc sans peur. Un esprit dégagé de toute peur est capable de beaucoup aimer, et l’amour peut agir à son gré.
Ce que nous entreprendrons maintenant, c’est la connaissance de nous-mêmes, non pas cette connaissance selon moi ou selon tel analyste ou tel philosophe, car chercher à se connaître selon quelqu’un c’est recueillir des informations en ce qui le concerne, lui, et pas nous. Or ce que nous voulons apprendre, c’est ce que nous sommes nous-mêmes.
Ayant bien compris que nous ne pouvons compter sur aucune autorité pour provoquer une révolution totale dans la structure de notre psyché, nous éprouvons une difficulté infiniment plus grande à rejeter notre propre autorité intérieure: celle qui résulte de nos petites expériences particulières, ainsi que de l’accumulation de nos opinions, de nos connaissances, de nos idées et idéaux. Hier, une expérience vécue nous a appris quelque chose et ce qu’elle nous a appris devient une nouvelle autorité.
Cette autorité née de la veille est aussi destructrice que celle que consacrent dix siècles d’existence. Pour nous comprendre, nous n’avons besoin ni d’une autorité millénaire ni de celle d’hier, car nous sommes des êtres vivants, toujours en mouvement selon le flot de l’existence, jamais au repos. Si l’on s’examine du point de vue qu’impose l’autorité d’un passé mort, on manque de comprendre ce mouvement vivant, ainsi que la beauté et la qualité de ce mouvement.
Être libre de toute autorité, de la nôtre et de celle d’autrui, c’est mourir à tout ce qui est de la veille, de sorte qu’on a l’esprit toujours frais, toujours jeune, innocent, plein de vigueur et de passion. Ce n’est qu’en cet état que l’on apprend et que l’on observe. Et, à cet effet, il faut être conscient avec acuité de ce qui a lieu en nous-mêmes, sans vouloir le rectifier ni lui dire ce qu’il devrait être ou ne pas être, car dès que nous intervenons, nous établissons une autre autorité: un censeur.
Nous allons donc, maintenant, nous explorer nous-mêmes, tous ensemble. Ne considérez pas qu’ici s’exprime une personne qui explique tandis que vous lisez, étant d’accord ou non au fur et à mesure que vous suivez des mots sur la page. Ce que nous allons entreprendre c’est une expédition ensemble, un voyage de découverte dans les recoins les plus secrets de notre conscience. Et pour une telle aventure, on doit partir léger, on ne peut pas s’encombrer d’opinions, de préjugés, de conclusions: de tout ce vieux mobilier que nous avons collectionné pendant deux mille ans et plus. Oubliez tout ce que vous savez à votre propre sujet ; oubliez tout ce que vous avez pensé de vous-mêmes ; nous allons partir comme si nous ne savions rien.
Hier il a plu lourdement et maintenant les cieux commencent à s’éclaircir: nous voici au seuil d’une journée toute neuve. Abordons-la comme si elle était la seule journée. Mettons-nous en route tous ensemble en laissant derrière nous les souvenirs des jours passés et commençons à nous comprendre, pour la première fois.
Livre - Se libérer du connu - Chapitre 1 - La recherche humaine ; Les esprits torturés ; L’orientation traditionnelle ; Le piège des bien-pensants ; L’être humain et l’individu ; Le conflit de l’existence ; La nature fondamentale de l'homme ; La responsabilité ; La vérité ; Se transformer soi-même ; Comment on dissipe l'énergie ; Se libérer de l'autorité. – Jiddu Krishnamurti