top of page

L'expérience de Dieu

Question : Comment puis-je faire l'expérience de Dieu, et donner ainsi un sens à ma vie si pesante? Sans cette expérience, quelle est donc la finalité de l'existence?


Krishnamurti : Puis-je avoir une compréhension directe de la vie, ou dois-je vivre une expérience qui donnera un sens à ma vie? Me comprenez-vous tous? Dois-je, pour apprécier la beauté, en connaître la finalité? L'amour doit-il forcément avoir une cause? Et s'il en a une, est-ce encore l'amour?


Notre interlocuteur dit qu'il lui faut vivre une certaine expérience qui va donner un sens à sa vie - ce qui implique qu'à ses yeux la vie en soi n'a pas d'importance. Donc en réalité, lorsqu'il cherche Dieu, il ne fait que fuir la vie, fuir la souffrance, la beauté, la laideur, la colère, la mesquinerie, la jalousie, la soif de pouvoir, et toute la complexité extraordinaire de l'existence. C'est tout cela, la vie, et comme il ne la comprend pas, il dit: « Je vais trouver quelque chose de plus grand, qui donnera un sens à ma vie. »


Écoutez bien ce que je dis, mais sans vous en tenir au niveau discursif, intellectuel, parce que alors tout cela ne voudra pas dire grand-chose. On peut pérorer intarissablement sur ce sujet, ou lire tous les textes sacrés du pays: tout cela, n'ayant aucun lien avec votre existence, votre vie quotidienne, restera sans valeur.


De quoi est faite notre vie? Qu'est-ce donc que cette chose que nous appelons l'existence? C'est, tout simplement, sans faire de philosophie, une succession d'expériences de plaisir et de douleur, et nous voudrions éviter la douleur et ne garder que le plaisir. Le plaisir du pouvoir, d'être un homme important dans un monde important, le plaisir de dominer sa petite femme, ou son petit mari, la douleur, la frustration, la peur et l'angoisse qui accompagnent l'ambition, le plaisir qu'on prend à se donner de l'importance, et ainsi de suite - c'est de tout cela qu'est faite notre vie quotidienne.


Autrement dit, ce que nous appelons vivre n'est autre qu'une série de souvenirs circonscrits au champ du connu ; et le connu devient un problème quand l'esprit n'en est pas affranchi. C'est ce fonctionnement limité au cadre du connu - c'est-à-dire du savoir, de l'expérience, et du souvenir de cette expérience - qui fait dire à l'esprit: « Je dois connaître Dieu. » C'est ainsi qu'il projette une entité qu'il nomme « Dieu » et qui est fonction de la tradition, du conditionnement qui sont les siens ; mais cette entité est issue du connu, et ne sort pas du cadre du connu.


On ne peut donc déterminer d'une manière claire, authentique, validée par une expérience réelle, si oui ou non Dieu existe, que lorsque l'esprit est totalement libéré du connu. Il va de soi que cette chose, qu'on peut appeler Dieu ou la vérité, doit forcément être totalement neuve, non reconnaissable, et tout esprit qui veut l'aborder par l'intermédiaire du savoir, de l'expérience, d'idées et de vertus accumulées, essaye de capturer l'inconnu tout en vivant dans le cadre restreint du connu - entreprise impossible. Tout ce que peut faire l'esprit, c'est chercher à savoir s'il est possible de se libérer du connu.


Se libérer du connu, c'est être totalement affranchi de toutes les impressions liées au passé, de tout le poids des traditions. L'esprit est lui-même le produit du connu, il est élaboré par le temps sous forme de « moi » et de « non-moi », d'où le conflit de la dualité. Si le connu cesse tout à fait d'exister, consciemment comme inconsciemment - et je dis que c'est possible, ce n'est pas une théorie -, alors jamais vous ne demande - rez si Dieu existe, parce que cet esprit-là est en soi au-delà de toute mesure. Comme l'amour, il porte en lui sa propre éternité.


Extrait du compte rendu de la sixième causerie publique à New Delhi, le 31 octobre 1956, in Collected Works of J. Krishnamurti, vol. X, Krishnamurti Foundation of America, 1992.

Archives

G.S.N. - Groupe Serge Newman - Créateur du site Jiddu Krishnamurti - clscarre@gmai.com

bottom of page