Se préoccuper de soi-même
Avant que nous n'allions plus loin, je voudrais vous demander quel est votre intérêt fondamental et permanent, dans la vie. Laissant de côté toutes les réponses obliques et abordant cette question directement et honnêtement, que répondriez-vous? Le savez-vous?
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Que le centre de votre intérêt n'est autre que vous-mêmes? C'est ce que la plupart d'entre nous répondraient s'ils étaient sincères: je m'intéresse à mon évolution, à mon travail, à ma famille, au petit coin dans lequel je vis, à obtenir une meilleure situation, plus de prestige et de pouvoir, à mieux dominer les autres, etc. Je crois qu'il serait logique, n'est-ce pas, d'admettre que ce qui nous intéresse au premier chef c'est « moi d'abord »?
Certains pourraient dire qu'il ne faudrait pas s'intéresser principalement à soi-même. Mais quel mal y a-t-il à cela, si ce n'est que nous l'admettons rarement en toute honnêteté? Il arrive que nous en éprouvions comme un sentiment de honte. Mais voilà qui est dit: notre intérêt fondamental est nous-mêmes, quoique pour différentes raisons, idéologiques ou traditionnelles, nous pensons que c'est un mal. Toutefois ce que l'on pense ne change rien: pourquoi introduire ici cette notion de mal? Ce n'est qu'une idée, un concept. Le « fait,. est que ce qui nous intéresse d'une façon fondamentale et durable, c'est nous-mêmes.
Vous pourriez me dire que l'on éprouve plus de satisfaction à aider les autres qu'à penser à soi. Où est la différence ? Si aider les autres est ce qui vous donne le plus de satisfaction, c'est que vous êtes intéressés par ce qui peut le plus vous satisfaire, vous. Pourquoi y introduire un concept idéologique?
Pourquoi ne pas vous dire que ce que vous désirez réellement, c'est vous satisfaire, soit par l'érotisme, soit par la charité, ou en devenant un grand saint, un homme de science, un homme politique? C'est toujours le même processus, n'est-ce pas? Notre satisfaction par les moyens les plus divers, subtils ou grossiers: c'est cela que nous voulons.
Lorsque nous disons que nous voulons la « libération », c'est que nous pensons qu'il s'agit de trouver un état qui satisfasse merveilleusement, et l'ultime satisfaction serait, bien sûr, l'idée saugrenue de la « réalisation » personnelle. En vérité, nous aspirons à une satisfaction qui ne comporterait rien qui puisse nous déplaire.
Chapitre 5 - Se préoccuper de soi-même ; Aspirer à une situation ; Les craintes et la peur totale ; La fragmentation de la pensée ; Mettre fin à la peur. - Se libérer du connu – Jiddu Krishnamurti (1895-1986)