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La dépendance

Comment peut-on se libérer de la structure psychologique de la société, c'est-à-dire de ce qui constitue l'essence même des conflits? Il n'est pas difficile de tailler, d'émonder certaines branches d'un conflit, mais nous nous demandons comment parvenir à une paix intérieure totale, donc à une parfaite tranquillité extérieure où, loin de végéter, loin d'être dans un état d'inertie, on serait dynamique, plein de vitalité et d'énergie.

Pour comprendre un problème et s'en libérer, il faut une énergie passionnée et soutenue. Il ne suffit pas qu'elle soit physique et intellectuelle ; encore faut-il qu'elle ne dépende d'aucun motif et d'aucun stimulant psychologique ou sous forme de drogues. Le stimulant dont on est tributaire est cela même qui engourdit l'esprit et le rend insensible. En prenant certaines drogues on peut temporairement avoir assez d'énergie pour voir les choses très clairement, mais on retombe dans l'état où l'on se trouvait, et l'on devient de plus en plus assujetti à ces stupéfiants.


Tout stimulant, que ce soit l'église, l'alcool, les drogues, la parole écrite ou prononcée, nous met inévitablement dans un état de dépendance qui fait obstacle à notre vision directe. Or c'est cette vision qui déclenche la vitalité de notre énergie.


Nous dépendons tous, psychologiquement, de quelque chose. Et pourquoi? Pourquoi avons-nous cet intense désir d'être assujettis ?.....C'est tous ensemble que nous entreprenons ce voyage d'exploration. N'attendez pas que je vous apprenne les causes de l'état de dépendance où vous vous trouvez. Si nous explorons ensemble, les découvertes que nous ferons seront les vôtres, et étant vôtres elles vous donneront de la vitalité.


Je découvre en moi-même que je suis tributaire de quelque chose. Disons, par exemple, qu'un auditoire me stimule. Parler à un grand nombre de personnes me donne une sorte d'énergie ; je dépends donc de ces personnes, qu'elles soient ou non d'accord avec ce que je dis. Leur désaccord suscite même plus d'énergie en moi que leur acquiescement, car une acceptation passive n'établit que des rapports creux, sans contenu. Je découvre donc que j'ai besoin d'un auditoire et qu'il est très stimulant de m'adresser à lui. Pourquoi? Pourquoi ce besoin? Parce qu'au plus profond de moi-même je suis vide ; parce que je ne trouve pas en moi la source de vie, toujours pleine, riche, mouvante. Je m'appuie donc à quelque chose, et voilà que j'ai découvert la cause de ma dépendance.


Mais cette découverte m'affranchit-elle? Évidemment pas, car elle n'est qu'intellectuelle. L'acceptation intellectuelle d'une idée ou l'acquiescement émotionnel à une idéologie ne peuvent pas libérer l'esprit de son état de dépendance: son besoin d'être stimulé demeure. Ce qui le libère c'est la vision de la structure de la stimulation, la vision de la nature de cette dépendance qui abêtit l'esprit, le rend stupide et inactif. Seule le libère cette vision totale.


Il me faut maintenant comprendre en quoi consiste cette vision totale. Tant que je considère la vie d'un point de vue particulier ; ou en fonction d'une expérience vécue que je chéris ; ou à partir de certaines connaissances que j'ai amassées (toutes ces données étant mon arrière-plan, c'est-à-dire mon moi), je ne peux percevoir aucune structure dans sa totalité. J'ai découvert intellectuellement, verbalement, par une analyse, la cause de ma dépendance, mais tout ce qu'explore la pensée est inévitablement fragmentaire. Ainsi donc je ne peux voir en sa totalité le processus de ma dépendance que lorsque la pensée n'intervient pas.


Je vois alors le fait lui-même ; je vois en toute réalité ce qui « est » ; je le vois sans plaisir ni déplaisir ; je ne veux ni me débarrasser de cette dépendance ni me libérer de sa cause ; je l'observe et lorsque se produit une telle observation, c'est l'image tout entière qui m'apparaît, non un simple fragment. Cette vision est un état de liberté.


J'ai maintenant découvert que la fragmentation est une perte d'énergie: j'ai découvert l'origine de cette dissipation.


On peut croire qu'il n'y a aucune perte d'énergie lorsqu'on imite, lorsqu'on accepte une autorité, lorsqu'on est subordonné à une autorité religieuse ou sous l'emprise d'un rituel, d'un dogme, d'un parti, d'une idéologie. Mais cette soumission, cette acceptation d'un mode de pensée – qu'il soit bon ou mauvais, sublime ou terre à terre – n'est qu'une activité fragmentaire qui crée une séparation entre ce qui « est » et ce qui « devrait être », Cette séparation provoque toujours un conflit, qui est une perte d'énergie.


Si l'on se pose la question: « Comment me libérer de cet état de conflit? » on se crée un nouveau problème et on intensifie la lutte ; mais si on peut regarder cette question comme un objet concret, d'une façon claire et directe, on comprend en son essence la vérité d'une vie qui ne comporte aucun conflit.


Chapitre 7 - Les rapports humains ; Les conflits ; Le social ; La pauvreté ; Les drogues ; La dépendance ; Les comparaisons ; Les désirs ; Les idéaux ; L'hypocrisie. - Ce libérer du connu – Jiddu Krishnamurti (1895-1986)

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