L'observation
Mary Zimbalist : Monsieur, est-ce que vous dites que la recherche doit continuer, qu'on n'arrive pas à un point où vous cessez de chercher, ou bien où vous trouvez une réponse, ou soi-disant telle, mais que l'esprit de recherche ne cesse d'être présent?
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Krishnamurti : C'est une question à laquelle il est assez difficile de répondre. Continuez-vous votre recherche si vous en arrivez à quelque chose qui n'a pas d'espace et pas de temps? Vous voyez, quand nous parlons de recherche, qui est le chercheur? Nous en revenons à cette vieille histoire. Le chercheur est l'objet de la recherche. Je ne sais pas si je m'exprime clairement sur ce point. Quand j'enquête sur la matière, avec des télescopes, à travers toutes sortes d'expériences, je cherche. Mais la personne qui cherche est distincte de ce qui fait l'objet de sa recherche. C'est clair. Mais ici, dans le monde subjectif, dans le monde du psychisme, le chercheur fait partie du psychisme, il n'en est pas distinct. Si cela est clair, le sens du mot chercheur est très différent.
Mary Zimbalist : Dites-vous qu'alors, il y a seulement la recherche, mais pas de chercheur, ni d'objet de la recherche?
Krishnamurti : Non, je dirais qu'il y a seulement une observation infinie. Il n'y a pas de personne qui regarde dans l'acte de regarder, mais une extraordinaire vitalité et une extraordinaire énergie dans l'acte d'observer, parce que vous avez regardé l'ensemble du monde psychologique, subjectif. Et désormais quand vous regardez, il n'y a pas d'arrière-plan qui regarde, il y a seulement l'acte de regarder « tel que c'est ». Vous voyez, cela veut dire regarder avec grande attention, et dans cette attention il n'y a pas d'entité qui est attentive, il y a seulement de l'attention qui a de l'espace, qui est vraiment calme, silencieuse, qui recèle une immense quantité d'énergie, et de ce fait il y a une absence totale d'intérêt centré sur soi. Maintenant, est-ce que cela est possible pour un être humain?
Les êtres humains trouvent cela terriblement difficile, donc vous vous approchez et vous dites: « Regarde, mon ami, fais ceci, fais cela, et encore cela, et tu obtiendras cela. Je serai ton gourou. » Alors je vous appellerai mon autorité spirituelle, et je suis perdu, je suis piégé de nouveau. Tel a été le processus, vous pouvez le voir toutes les fois qu'il y a eu les saints, une hiérarchie spirituelle qui reconnaît les saints, et ce processus se poursuit sans cesse. Donc, l'homme a été incapable de se tenir debout tout seul. Il veut pouvoir compter sur quelque chose, que ce soit une épouse, un métier, une croyance, ou quelque expérience extraordinaire qu'il a peut-être faite.
Donc, je dis qu'il doit y avoir une liberté complète. Cette liberté n'est pas si compliquée. Cette liberté-là est présente quand il n'y a pas du tout d'intérêt ego-centré. Parce que l'intérêt ego-centré est très petit, très mesquin, très étroit et, à moins qu'il n'y ait une liberté complète à l'égard de cela, la vérité devient impossible. Et la vérité ne peut être atteinte par aucun chemin, c'est un pays sans chemin. On ne peut passer par aucun système, aucune méthode, aucune forme de méditation pour l'atteindre. En vérité, on ne l'atteint pas – elle est.
Brockwood Park, le 14 octobre 1984