La pensée, c'est le temps
Quand l'esprit est conscient du désordre, de cet éveil fleurit l'ordre qui est vertu, et quand cela est établi de manière véritable, honnête et profonde, alors nous pouvons explorer la question de savoir s'il y a quelque chose de sacré. Pour en venir là, il faut enquêter sur la nature du temps et de la pensée.

Car, sauf si le temps fait une pause, l'esprit ne peut pas percevoir quoi que ce soit de sacré, quoi que ce soit de neuf. Il est alors très important de chercher si la pensée a une quelconque relation avec le temps, et ce qu'est le temps. Manifestement, il y a le temps selon la montre, aujourd'hui, hier et demain. Faire des projets, aller d'ici à là, prévoir de faire certaines choses. Pour apprendre une langue, apprendre la conduite automobile, apprendre à faire un travail technologique, il vous faut du temps. Tout ceci c'est de la méditation.
Qu'est ce que le temps en dehors du temps chronologique? Le temps est un mouvement psychologique, d'ici à là, en même temps que physiquement d'ici cette maison-là. Donc le mouvement entre ceci et cela c'est le temps. L'espace entre ceci et cela, le fait de parcourir cet espace est le temps, le mouvement vers cela c'est le temps. Tout mouvement est temps, Physiquement, aller d'ici à Paris, New York ou quelque autre endroit cela demande du temps. Et aussi le fait de changer psychologiquement «ce qui est» en « ce qui devrait être » demande du temps et son mouvement, au moins c'est ce que nous pensons. Ainsi le temps est un mouvement dans l'espace, créé par la pensée en tant que ceci qui réalise cela. La pensée est temps, la pensée est mouvement dans le temps. Est-ce que cela veut dire quelque chose pour vous ? Faisons-nous le voyage ensemble ?
Je vous en prie, ceci demande une extraordinaire attention, du soin, un sentiment de ce qui est non-personnel, qui n'est pas source de plaisir, quelque chose où le désir n'a aucune place. Cela demande beaucoup de soin, et le soin amène son ordre propre, qui est sa propre discipline. La pensée est mouvement de « ce qui est » vers « ce qui doit être ». La pensée est le temps de parcourir cet espace, et tant qu'il existe psychologiquement une division entre ceci et cela, il y a le mouvement de la pensée dans le temps. Alors, la pensée c'est le temps en tant que mouvement. Et y a-t-il du temps comme mouvement de la pensée, quand il n'y a que l'observation de « ce qui est » – qui est observation, non pas en tant qu'observateur et observé, mais seulement observation sans le mouvement d'aller au-delà de « ce qui est ». C'est très important pour l'esprit de comprendre cela, car la pensée peut créer les plus merveilleuses images de ce qui est sacré et saint, ce qu'ont fait toutes les religions. Toutes les religions sont basées sur la pensée, un pensée qui a été organisée en croyances, dogmes et rituels. Par conséquent, à moins qu'il n'y ait une compréhension totale de la pensée en tant que temps et mouvement, l'esprit ne peut en aucun cas aller au-delà de lui-même.
Comme nous l'avons dit, nous sommes entraînés, éduqués, à changer « ce qui est » en « ce qui devrait être ». – l'idéal. Et le mot idéal vient du mot idée, qui veut dire voir, et seulement cela. Ne tirez pas une abstraction de ce que vous voyez, mais restez effectivement avec ce que vous voyez. Nous sommes entraînés à changer « ce qui est » en « ce qui devrait être ». Cet entraînement est le mouvement de la pensée pour parcourir l'espace entre « ce qui est » et « ce qui devrait être », et cela prend du temps. Tout ce mouvement de la pensée dans l'espace est le temps nécessaire pour changer « ce qui est » en « ce qui devrait être ».
Mais l'observateur est l'observé, et de ce fait il n'y a rien à changer. Car il y a seulement « ce qui est ». L'observateur ne sait que faire de « ce qui est » et de ce fait il essaie diverses méthodes pour changer « ce qui est », le contrôler ou le réprimer. Mais l'observateur est l'observé, le « ce qui est » est l'observateur, de même que la colère ou la jalousie, c'est l'observateur, il n'y a pas de jalousie séparée de l'observateur, les deux ne font qu'un. Donc, quand il n'y a pas mouvement pour changer « ce qui est » – le mouvement en tant que pensée dans le temps – quand la pensée perçoit qu'il n'existe aucune possibilité de changer « ce qui est », alors le « ce qui est » cesse entièrement parce que l'observateur est l'observé. Explorez ceci très en profondeur et vous verrez par vous-même, c'est vraiment tout à fait simple.
Disons que je n'aime pas beaucoup quelqu'un, et pense que ce manque de sympathie est différent de « moi ». L'entité qui n'aime pas beaucoup est le manque de sympathie lui-même, ce n'est pas séparé, et quand la pensée dit: « Je dois dominer ce manque de sympathie », alors il y a un mouvement dans le temps pour surmonter ce qui existe en fait, qui est créé par la pensée. Quand on voit que l'observateur, l'entité, et la chose qu'on appelle manque de sympathie sont la même, il y a immobilité complète, qui n'est pas du « statisme », mais une totale absence de mouvement et de ce fait un silence total. Le temps comme mouvement, le temps comme pensée qui aboutit à un résultat, en vient totalement à son terme, et de ce fait l'action est instantanée. L'esprit a posé le fondement et il est libre du désordre. Et sur cette base il y a de ce fait la floraison et la beauté de la vertu. Et dans ce fondement se situe votre relation avec autrui, dans laquelle il n'y a pas mise en œuvre de l'image, il y a simplement relation, non pas une image s'ajustant à une autre image. Il y a simplement « ce qui est », et non pas le fait de changer « ce qui est ». Le fait de changer ou de transformer « ce qui est » est le mouvement de la pensée dans le temps.
Quand vous en êtes arrivé à ce point, l'esprit ainsi que les cellules du cerveau sont totalement immobiles. Le cerveau, qui détient les souvenirs, les expériences, les connaissances, peut et doit fonctionner dans le domaine du connu. Mais dorénavant l'esprit, le cerveau est libre de l'activité du temps et de la pensée. Alors l'esprit est totalement immobile. Tout ceci se fait sans effort, et doit se passer sans notion de discipline, de contrôle, tout cela appartenant au désordre. Ce que nous disons est totalement différent de ce que disent vos gourous, « maîtres », le Zen, tout cela par exemple. Dans ceci il n'y a pas d'autorité, de notion d'en suivre un autre. Si vous suivez quelqu'un, vous détruisez non seulement vous-même mais aussi l'autre. Pour un esprit religieux, il n'y a d'autorité d'aucune sorte. Mais il a l'intelligence et la met en application. Il y a l'autorité du savant, du docteur, du moniteur d'auto-école. Sinon, il n'y a pas d'autorité, pas de gourou.
Brockwood Park, le 9 septembre 1973