La compassion
Question: La compassion jaillit-elle de l’observation ou de la pensée ? N’est-elle pas une émotion?
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Krishnamurti: Je ne sais pas comment répondre. Qu’est-ce que la compassion ? Est-ce de l'émotion, quelque chose de sentimental ? Se dépense-t-elle dans quelque oeuvre sociale ? On devrait découvrir ce qu’est la compassion, ce qu’est l'amour. Est-ce le désir, le plaisir ? L’amour peut-il exister là où il y a ambition ? Peut-il y avoir amour si on s’efforce de devenir quelque chose — non seulement dans le monde extérieur, mais aussi psychologiquement, là où on se trouve en lutte constante pour être ou devenir quelque chose ?
Peut-il y avoir amour là où se manifestent jalousie et violence ? Là où il y a division entre vous et moi ? Peut-il y avoir amour si on est nationaliste ? Ces divisions entre nationalités, entre croyances, et celles créées par les images, permettent-elles à l'amour de se manifester ? Bien sûr, il ne peut y avoir d’amour lorsqu’il y a de telles divisions. Cependant, nous sommes tous si lourdement conditionnées que nous acceptons cela comme normal.
Quel est le rapport entre l'amour et l’affliction ? La souffrance et l'amour peuvent-ils aller de pair ? non seulement la souffrance personnelle, mais l'immense souffrance de l’humanité, celle que les guerres ont provoquée et continuent de provoquer, celle des habitants des pays totalitaires — peut-il y avoir amour là où on souffre ? Ou bien cette compassion passionnée ne vient-elle qu’avec la fin de la souffrance ?
Après avoir dit cela, où en sommes-nous ? L’amour n’est-il qu'un idéal, quelque chose que nous ne connaissons pas et que, par conséquent, nous voulons éprouver — ce sentiment extraordinaire de grande compassion ? Mais nous ne voulons pas en payer le prix. Nous aimerions obtenir ce merveilleux joyau, mais nous ne sommes pas disposés à faire le geste ou autre chose qui pourraient nous le procurer. Si vous voulez la paix, vous devez vivre paisiblement, ne pas vous diviser entre nations qui se font les guerres et toutes les horreurs que nous connaissons.
Quel est le prix que nous payons cette situation — non en pièces de monnaie et en papier, mais intérieurement ? Dans quelle mesure, avec quelle profondeur de vision est-ce que je me rends compte que le nationalisme et toutes les divisions doivent cesser en moi en tant qu'être humain ? Car un être humain — que ce soit vous ou moi — est comme le reste du monde du point de vue psychologique. Nous souffrons tous, nous passons tous par des angoisses, de grandes peurs, des incertitudes, la confusion ; nous sommes tous mêlés à des absurdités religieuses. Nous sommes cela.
Pouvons-nous en voir la totalité, non comme une idée, non comme une aspiration, mais comme un fait, un fait brûlant, réel, quotidien ? Cette perception nous mènera à la compassion d’un être responsable. La compassion accompagne une grande intelligence, qui n’est pas le fonctionnement du savoir. Celui-ci peut résoudre beaucoup de problèmes intellectuels et techniques, mais l’intelligence est une chose totalement différente. Veuillez ne pas admettre ce que je dis, contentez-vous de l’examiner. Vous pouvez avoir beaucoup lu, être capable de tenir de grandes discussions et de résoudre des problèmes, mais l’esprit qui trouve les solutions n'est pas celui qui est doué d’intelligence. Celle-ci vient avec la compassion, avec l’amour. Et quand cette intelligence est un acte de compassion, elle est globale et ne constitue pas une action particulière. - J.K.
Note 44 – La compassion - Questions et réponses