L'inégalité sociale
Question : Le problème de l'esprit et le problème de la pauvreté et de l'inégalité sociale doivent être compris et résolus simultanément. Pourquoi insistez-vous seulement sur l'un des deux ?
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Krishnamurti : Je n'insiste que sur l'un des deux ? Vraiment ? Le problème de la pauvreté et de l'inégalité sociale, de la dégradation et de la misère existe-t-il isolément du problème de l'esprit ? N' y a-t-il pas qu'un seul et unique problème, qui est l'esprit ? C'est l'esprit qui est à l'origine du problème social ; et, ayant créé ce problème, il cherche à le résoudre sans opérer en lui-même aucun changement fondamental.
Notre problème est donc l'esprit, cet esprit qui, voulant se sentir supérieur, crée ainsi l'inégalité sociale, cet esprit toujours en quête d'acquisitions, sous des formes diverses, car la propriété, les relations, ou les idées, c'est-à-dire le savoir, le sécurisent. C'est cette soif permanente de sécurité qui engendre l'inégalité, et ce problème ne sera jamais résolu, sauf si nous comprenons enfin que c'est l'esprit qui crée la différence, que c'est l'esprit qui est dénué d'amour. Ce n'est pas une législation qui résoudra le problème, et les communistes ou les socialistes ne peuvent pas non plus le résoudre. Le problème de l'inégalité ne peut être résolu que lorsqu'il y a l'amour, et l'amour n'est pas un simple mot en l'air.
Celui qui aime ne se soucie pas de savoir qui est supérieur et qui est inférieur ; il n'y a pour lui ni égalité ni inégalité: il n'y a qu'un état d'être qui est l'amour. Mais nous ne connaissons pas cet état-là, jamais nous ne l'avons vécu, ressenti. Comment cet esprit, qui est totalement absorbé par ses activités et ses occupations, qui est déjà responsable d'une telle détresse dans le monde et qui continue imperturbablement à semer le malheur et la destruction - comment un tel esprit peut-il opérer en lui-même une révolution totale ? Là est le problème, sans nul doute. Et l'avènement de cette révolution ne passe par aucune réforme sociale, mais ne peut se produire que lorsque l'esprit voit de lui-même la nécessité de cette rédemption totale: alors la révolution est là.
Nous ne cessons de parler de pauvreté, d'inégalité et de réformes: c'est parce que nous avons le cœur vide. Quand l'amour sera, nous n'aurons plus de problèmes, mais l'amour ne peut advenir en recourant à des pratiques. Il ne pourra advenir que lorsque vous ne serez plus, c'est-à-dire lorsque vous cesserez de vous préoccuper de vous-même, de votre rang social, de votre prestige, de vos ambitions et de vos frustrations, lorsque vous cesserez complètement de penser à vous-même - et pas demain, mais dès maintenant. Cette préoccupation de soi est toujours la même, qu'elle concerne celui qui cherche Dieu, ou celui qui œuvre pour une révolution sociale. Jamais un esprit animé de telles préoccupations ne peut savoir ce qu'est l'amour. J.K
Bombay, le 27 février - Extrait du compte rendu de la quatrième causerie publique à Bombay