top of page

La jalousie

Le mur blanc d'en face était éblouissant au soleil et son reflet donnait aux visages des tons blafards. Une petite fille, sans que sa mère le lui demandât, était venue s'asseoir tout près d'elle et regardait en se demandant ce qui se passait. Elle était propre et bien vêtue et avait piqué quelques fleurs dans ses cheveux. Elle observait tout avec une grande attention, comme font les enfants, sans retenir trop de choses. Ses yeux brillaient, et elle ne savait si elle devait pleurer, rire ou sauter ; au lieu de cela elle prit ma main et la considéra avec un grand intérêt.

Puis elle oublia toutes les personnes qui étaient là dans la pièce, et s'endormit la tête sur mes genoux. Sa tête était belle et bien proportionnée ; elle ne portait pas la moindre trace de saleté. Son avenir était aussi confus et douloureux que celui de toutes les autres personnes présentes. Son conflit et sa douleur étaient aussi inévitables que le soleil sur le mur ; car pour être libre de la souffrance et de la peine il faut une intelligence suprême, et son éducation et les influences du milieu qu'elle subissait montrait que cette intelligence lui était refusée.


L'amour est si rare dans ce monde, l'amour, cette flamme sans fumée ; la fumée est étouffante, suffocante ; elle tire des larmes et de l'angoisse. On voit rarement la flamme à travers la fumée ; et lorsque la fumée devient envahissante, la flamme meurt. Sans la flamme de l'amour, la vie n'a aucune signification, elle devient morne et accablante ; mais la flamme ne peut se tenir dans l'obscurité de la fumée. La flamme et la fumée ne peuvent pas exister ensemble ; la fumée doit cesser pour que la flamme soit claire. La flamme n'est pas la rivale de la fumée ; la flamme n'a pas d'ennemi. La fumée n'est pas la flamme, elle ne peut contenir la flamme ; et la fumée n'indique pas la présence de la flamme, car la flamme n'est pas liée à la fumée.

« L'amour et la haine ne peuvent-ils pas coexister ? La jalousie n'est-elle pas une preuve d'amour? Nous nous tenons par la main, et la minute d'après nous nous querellons ; nous disons des choses blessantes, mais ensuite nous nous étreignons. Nous nous chamaillons, puis nous nous embrassons et nous sommes réconciliés. Tout cela n'est-il pas l'amour ? L'expression même de la jalousie est une preuve d'amour ; ils semblent inséparables, comme la lumière et l'ombre. La flambée de colère et la caresse - n'est-ce pas là la plénitude de l'amour ? La rivière est tour à tour turbulente et calme ; elle coule dans l'ombre des arbres et en pleine lumière, et c'est tout cela la beauté de la rivière. »


Qu'est donc ce que nous appelons l'amour ? C'est tout cet édifice de jalousie, de désir, de paroles blessantes, de caresses, de mains dans la main, de querelles, de grimaces. Ce sont là les faits de ce soi-disant amour. La colère et les caresses sont les événements quotidiens de ce domaine, n'est-ce pas ? Et nous essayons d'établir un rapport entre des divers événements, ou bien nous comparons un fait à un autre. Un fait nous sert à en condamner ou justifier un autre dans ce même domaine, ou bien nous essayons d'établir un rapport entre un fait dans ce domaine et quelque chose qui lui est extérieur.


Nous ne prenons pas chaque fait séparément, mais nous essayons de trouver une relation entre eux. Pourquoi faisons-nous cela ? Nous ne pouvons comprendre un fait que lorsque nous ne nous servons pas d'un autre fait de même ordre comme moyen de compréhension, qui ne peut que provoquer le conflit et la confusion. Mais pourquoi comparons-nous les divers faits d'un même domaine ? Pourquoi faisons-nous déborder la signification d'un fait pour en expliquer un autre ?


« Je commence à saisir ce que vous voulez dire. Mais pourquoi faisons-nous cela ? »


Comprenons-nous un fait à travers l'écran de l'idée, à travers l'écran de la mémoire ? Puis-je comprendre la jalousie parce que j'ai tenu votre main dans la mienne ? Le fait de tenir la main est un fait, la jalousie en est un autre ; mais puis-je comprendre le processus de la jalousie par le souvenir que j'ai d'avoir tenu votre main ? La mémoire est-elle un auxiliaire de la compréhension? La mémoire compare, modifie, condamne, justifie, ou identifie ; mais elle ne peut pas faire naître la compréhension.


Nous abordons les faits dans le domaine de ce que nous appelons l'amour avec l'idée, avec la conclusion. Nous ne prenons pas le fait de la jalousie tel qu'il est pour l'observer en silence, nous voulons déformer les faits afin de les faire entrer dans le système préconçu, et pour les faire coïncider avec la conclusion ; et nous abordons le fait de cette manière parce qu'en réalité nous ne désirons pas comprendre le phénomène de la jalousie. Les sensations de la jalousie sont aussi stimulantes qu'une caresse ; mais nous voulons la stimulation sans la douleur et le malaise qui vont invariablement avec elle. C'est pourquoi il y a conflit, confusion et antagonisme dans ce domaine que nous appelons l'amour. Mais est-ce l'amour ? L'amour est-il une idée, une sensation, une stimulation ? L'amour est-il la jalousie ?


« La réalité n'est-elle pas contenue dans l'illusion ? L'ombre n'entoure-t-elle pas ou ne cache-t-elle pas la lumière ? Dieu n'est-il pas captif ? »


Ce ne sont là que des idées, des opinions, et cela n'a aucune valeur. De telles idées ne provoquent que la discussion, l'hostilité, elles n'ont aucun rapport avec la réalité. Là où il y a la lumière, il n'y a pas l'ombre. L'ombre ne peut pas dissimuler la lumière ; sinon il n'y a pas de lumière. Là où il y a la jalousie, il n'y a pas l'amour. L'amour n'a aucun rapport avec une idée, aussi l'idée ne peut-elle pas communier avec l'amour. L'amour est une flamme sans fumée. - J.K.


Note 52 - La jalousie - Commentaire sur la vie tome 1


Archives

G.S.N. - Groupe Serge Newman - Créateur du site Jiddu Krishnamurti - clscarre@gmai.com

bottom of page