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Les convictions - les rêves

Comme le monde est beau, avec ses déserts et ses champs fertiles, ses forêts, ses rivières et ses montagnes, ses oiseaux innombrables, ses animaux et ses êtres humains! Il existe des villages où règnent la maladie et la crasse, et où il n'a pas plu depuis trop longtemps. Les puits sont secs et le bétail n'a que la peau sur les os ; les champs sont desséchés et la châtaigne se flétrit ; on ne plante plus la canne à sucre, et la rivière ne coule plus depuis de longues années.


On mendie, on vole, on crève de faim ; on meurt d'attendre la pluie. Et il existe aussi des villes opulentes, où les voitures neuves brillent dans les rues bien nettes, où les gens sont propres et bien habillés et les innombrables magasins remplis à ras bord, et où il y a des universités, des bibliothèques et des taudis. La terre est magnifique et le sol est sacré autour du temple comme dans le désert aride.

C'est une chose que d'imaginer et une autre que de percevoir ce qui est, mais toutes deux sont contraignantes. Il est simple de percevoir ce qui est, mais c'est un autre problème que d'en être libéré. Car la perception est obscurcie par des notions de jugement, de comparaison et le désir. Percevoir sans l'interférence du censeur est extrêmement difficile. L'imagination édifie l'image du moi et la pensée fonctionne alors dans l'ombre de cette image, à l'intérieur de ses limites. C'est de cette mise en concept du moi que naît le conflit entre ce qui est et ce qui devrait être, le conflit de la dualité. La perception du fait et l'idée qu'on a du fait sont deux états très différents et seul l'esprit qui n'est pas limité par les opinions et les valeurs comparatives a la capa- cité de percevoir ce qui est vrai.


Elle était venue de loin, en train et en car, et elle avait dû faire à pied la dernière partie du trajet. Mais « journée était agréablement fraîche, et la distance n'était pas excessive.


— J'ai un problème assez urgent dont j'aimerais parler avec vous, dit-elle. Lorsque deux êtres qui s'aiment sont inflexibles dans leurs convictions diamétralement opposées, que doit-on faire ? Faut-il que l'un cède à l'autre ? L'amour peut-il combler cette différence destructrice et propre à séparer ?


Si c'était de l'amour, ces convictions inébranlables qui séparent et lient existeraient-elles ?


— Peut-être pas, en effet. Mais nous avons dépassé le stade de l'amour. Ces convictions se sont durcies de part et d'autre, ce sont des opinions raides et brutales. L'un peut-être souple, mais si l'autre ne l'est pas, cela ne peut qu'exploser. Que peut-on faire pour éviter cela ? On peut céder, temporiser mais si l'autre demeure absolument intransigeant, il devient impossible de vivre avec cette personne, et d'avoir des relations avec elle.


Cette intransigeance donne de dangereux résultats, mais la personne en question semble se moquer d'avoir à vivre un martyre si c'est au nom de ses convictions. Tout cela semble encore plus absurde si l'on pense à la nature illusoire des idées ; mais les idées s'enracinent profondément lorsqu'on n'a rien d'autre. La gentillesse et la considération de l'autre s'évanouissent devant la dure séduction des idées. La personne en question est absolument convaincue que ses idées et ses théories, qu'elle a trouvées dans les livres, suffiront à sauver le monde en lui apportant paix et bien-être pour tous et elle pense que tuer et détruire, lorsque c'est nécessaire, sont des moyens qui se justifient pour atteindre un but idéaliste. C'est la fin qui est importante, les moyens ne comptent pas, pas plus d'ailleurs que les individus, pour autant qu'on atteigne cette fin.


Pour des esprits de ce genre, le salut réside dans la destruction de ceux qui n'ont pas les mêmes convictions. Certaines religions ont cru, dans le passé, que c'était la seule façon d'atteindre Dieu, et elles continuent à excommunier et à menacer de l'enfer éternel et de choses de cet ordre. Ce dont vous venez de parler participe de la toute dernière religion. Nous cherchons l'espoir dans les églises, dans les idéologies, dans les « soucoupes volantes », dans la franc-maçonnerie, les gourous, et tout cela ne débouche que sur davantage de souffrance et de destruction. Il faut qu'en nous-mêmes nous nous libérions de cette attitude intransigeante et totalitaire. Car les idées, si grandes, si subtiles et si persuasives qu'elles soient, sont illusoires, séparent et détruisent. Lorsque l'esprit n'est plus pris dans le filet des idées, des opinions et des convictions, apparaît alors quelque chose d'entièrement différent des projections de l'esprit. L'esprit n'est pas notre ultime ressource pour résoudre un problème, car il faut bien savoir que c'est lui qui le crée.


— Je sais bien que vous ne donnez pas de conseils, mais que faire, cependant ? Je me pose cette question depuis des mois sans trouver la moindre réponse. Mais tandis que je dis cela, je commence à entrevoir qu'il n'existe pas de réponse précise, qu'il nous faut vivre dans l'instant, en prenant les choses comme elles viennent, en s'oubliant. Et c'est alors qu'il est possible d'être indulgent et de pardonner. Mais que cela sera donc difficile !


Lorsque vous déclarez « que cela sera donc difficile », vous avez déjà cessé de vivre dans l'instant, dans l'amour et dans l'indulgence. L'esprit s'est projeté dans le futur, créant ainsi un problème - ce qui est la fonction même de l'esprit. Le passé et le futur sont nécessaires à sa subsistance.


— Puis-je vous demander autre chose? Croyez-vous qu'il soit possible d'interpréter ses propres rêves ? J'ai beaucoup rêvé ces derniers temps et je sais qu'il y a un message dans ces rêves, mais je ne sais pas interpréter les symboles, les images qui reviennent sans cesse. Ce ne sont pas toujours les mêmes symboles et les mêmes images, mais je crois que tous ces rêves ont fondamentalement le même contenu et la même signification - enfin, c'est ce que je pense, je peux me tromper naturellement.


Qu'entendez-vous par « interpréter » vos rêves ?


— Eh bien comme je vous l'ai dit, j'ai un problème qui me préoccupe depuis plusieurs mois, et tous mes rêves sont relatifs à ce problème. Ils essayent de me faire comprendre quelque chose, peut-être m'indiquer ce que je devrais faire, et si je parvenais à les interpréter correctement, je saurais ce qu'ils essayent de me transmettre.


Mais le rêveur, de toute évidence, n'est pas séparé de son rêve ; rêveur et rêvé ne font qu'un. Ne pensez-vous pas qu'il est important de comprendre cela ?


— Je ne comprends pas ce que vous voulez dire. Pourriez-vous m'expliquer ?


Notre conscience constitue un processus complet, même s'il renferme ses propres contradictions internes. La conscience peut se subdiviser en conscient et en inconscient, le visible et le caché, et elle peut contenir des désirs qui s'opposent, des valeurs, des besoins, mais cette conscience est néanmoins un processus total et unitaire. L'esprit conscient peut se souvenir d'un rêve, mais ce rêve est le produit de l'activité de la totalité du champ de la conscience. Lorsque la couche supérieure de la conscience essaye d'analyser un rêve qui est la projection de la conscience dans son entier, cette interprétation est nécessairement partielle, lacunaire et erronée. Celui qui fait l'interprétation dénature obligatoirement les symboles et le rêve tout entier.


— Je suis désolée, mais ce n'est toujours pas clair.


L'esprit conscient et superficiel est tellement rempli d'anxiété, il cherche tant à trouver une solution à ses problèmes, que lorsqu'il ne dort pas, il est toujours en activité. Dans ce qu'on nomme le sommeil, ou prétendu sommeil, l'esprit est d'une certaine façon plus calme, moins perturbé, et il réunit les prémonitions de l'activité totale. Cette prémonition constitue le rêve, que l'esprit anxieux tente d'interpréter quand il s'éveille ; mais cette interprétation ne peut pas être correcte, car elle recherche l'action immédiate et ses résultats. Le besoin d'interpréter doit cesser pour qu'il puisse y avoir compréhension du processus total de la conscience. Vous êtes très anxieuse de découvrir ce que vous devez faire par rapport à votre problème, n'est-ce pas ? C'est cette anxiété même qui fait obstacle à la compréhension du problème, et c'est pourquoi il y a un changement constant de symboles bien que leur contenu semble toujours identique. Et maintenant quel est le problème ?


— Ne rien craindre de ce qui peut arriver. Pouvez-vous vous défaire si facilement de la peur ?

Une simple déclaration verbale ne suffit pas à éliminer l'anxiété. Mais est-ce là le problème ? Vous pouvez avoir envie d'en finir avec la peur, mais alors le « comment », la méthode devient importante, et c'est un nouveau problème qui s'ajoute à l'autre. De sorte que nous passons d'un problème à un autre sans jamais en être libéré... Mais nous parlons pour l'instant de quelque chose d'autre, n'est-ce pas ? Nous nous occupons de la substitution d'un problème à un autre.


— Je suppose qu'en fait le vrai et seul problème, c'est d'arriver à l'immobilité de l'esprit.


C'est de toute évidence la seule issue possible: un esprit immobile.


— Mais comment faire pour avoir l'esprit tranquille ?


Regardez ce que vous dites. Vous voulez avoir, vous voulez posséder un esprit tranquille et immobile, comme vous auriez une nouvelle robe ou une maison. Ayant un nouvel objectif, c'est-à-dire l'immobilité de l'esprit, vous commencez à vous renseigner sur les façons et les moyens d'atteindre cet objectif, et vous voilà avec un autre problème sur les bras. Essayez seulement d'avoir conscience de l'absolue nécessité et de l'importance de l'immobilité de l'esprit. Ne luttez pas pour acquérir cette immobilité, ne vous torturez pas avec la discipline pour y parvenir, ne la cultivez pas, ne la pratiquez pas. Car tous ces efforts auraient un résultat, et tout ce qui peut s'apparenter à un résultat n'est pas l'immobilité. Ce que l'on assemble peut être défait. Ne cherchez pas la continuité de l'immobilité. Cette immobilité doit être vécue dans l'instant, on ne peut la rassembler. - J.K


Note 47 - Les convictions - les rêves - Commentaire sur la vie tome 2

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